Intérieur : un sanctuaire pour créateurs et penseurs près de Poitiers

Imaginée par l’artiste Corinne Aivazian, Casa Julfa invite les pratiques créatives à se rencontrer en un lieu qui favorise la vie douce et le temps long. Un sanctuaire au cœur de Montmorillon, pittoresque Ville d’art et d’histoire près de Poitiers, où l’on peut grandir et se reposer, à l’abri des distractions et des exigences de la société contemporaine.

Par Pauline Louis – Photographies : Anne-Claire Héraud

La Casa Julfa n’est pas une résidence d’artistes traditionnelle. C’est davantage un refuge sacré pour tous ceux qui en franchissent les portes, un espace de liberté façonné au fil du temps et né de l’histoire personnelle de sa fondatrice, Corinne Aivazian, artiste contemporain. « J’ai des racines arméniennes et italiennes. J’ai grandi en France, étudié en Angleterre puis vécu à Londres, Berlin et au Mexique. Il y a dix ans, on m’a proposé d’intégrer la British Ceramics Biennial en résidence en tant qu’artiste contemporain. J’ai accepté et la rencontre avec la terre a été comme une révélation pour moi. Pourtant, je travaillais déjà beaucoup avec le moulage en plâtre, en résine, mais peu avec la terre. À l’époque, je faisais de grandes expos et je donnais des cours à la fac… Ce réveil de la trentaine m’a donné envie d’un espace à moi, où je pourrais aussi travailler l’argile.

J’avais vendu tout le fruit de mon travail à la biennale, et avec ce petit budget, j’ai cherché une maison près de Limoges en France. Le curateur de la biennale m’avait dit que l’immobilier n’était pas cher dans cette région ! », raconte Corinne. Elle achète ainsi une petite maison- atelier où elle accueille parfois d’autres artistes de passage intéressés par son travail. Le contact avec les visiteurs se fait singulier, comme si l’endroit levait naturellement des freins pour amener les gens vers leur propre voie. Elle décide alors de créer une résidence d’artistes dans une maison plus grande, avant d’acquérir il y a cinq ans celle qui deviendra Casa Julfa. « Quand j’ai vu ce bâtiment, j’ai trouvé le courage d’être moi-même. Ça m’a inspirée pour faire le projet tel que je l’entendais. »

Résidence d’artistes singulière

La Casa Julfa est une maison de ville du XVIIe siècle composée de quatre appartements indépendants, avec des bâtiments attenants, dont une ancienne forge transformée aujourd’hui en atelier de poterie au rez-de-chaussée et atelier créatif à l’étage. C’est une résidence d’artistes singulière où tout est fait pour préserver l’intimité de chacun. « Nous, les artistes, avons besoin d’avoir chacun notre propre espace pour mieux créer », souligne Corinne. C’est d’ailleurs ce qui l’a amenée à choisir ce nom, Casa Julfa. « La Casa, c’est un espace où l’on peut vraiment exister, où l’on peut parler librement, un cœur où tous les sentiments sont permis. Julfa, c’est un ancien village arménien, là où vivaient mes ancêtres. C’est un point de diffusion entre l’est et l’ouest. Une célébration de l’art ancestral, de l’échange culturel international, un manifeste pour la croissance collective. » Ouverte à tous, la maison vit au rythme des séjours de celles et ceux venus profiter de ses ressources. « Nous sommes tous créatifs, nous étions tous des enfants qui dessinaient ! Il n’y a pas que les artistes qui ressentent le désir de passer du temps avec eux-mêmes, d’être dans la nature, de prendre le temps de vivre un peu plus lentement, de se connecter avec tout ce qui nous fait… », précise Corinne. Casa Julfa est le point d’attache qui permet de réaliser un tel voyage vers soi, notamment grâce au programme de résidence Makers & Thinkers. Ces résidences autonomes de deux semaines conviennent à tous ceux qui recherchent le temps et l’espace pour travailler de manière indépendante, sur leurs propres projets, loin de l’agitation extérieure. « Ce que nous proposons se situe entre une résidence traditionnelle et des vacances. Certains utilisent ce temps pour créer un nouveau corpus d’œuvres ou entreprendre de nouvelles recherches. D’autres souhaitent simplement récupérer et réfléchir dans un environnement paisible et traditionnel, tout en utilisant librement l’atelier. Toute personne travaillant dans une pratique respectueuse du monde naturel est la bienvenue ! », sourit Corinne.

Célébrer l’argile

La Casa Julfa propose aussi un programme de résidence dédié à l’argile. « Nous avons une approche traditionnelle et ancestrale du travail de l’argile qui s’appuie sur la richesse de l’histoire locale en matière de poterie, d’argile médicinale et de pigments naturels. » Pour Corinne, c’est une évidence et un privilège de partager tout ce qu’elle a appris depuis sa rencontre avec la terre. « Mon voyage avec la pratique de l’argile autochtone et ancestrale a vraiment commencé il y a une décennie lorsque j’enseignais à Erevan, en Arménie, et que j’essayais de trouver de l’argile pour mes élèves qui n’était pas importée. Je suis partie à la recherche d’artisans dans les plus petits villages oubliés qui utilisaient l’argile qu’ils transformaient eux-mêmes sur leurs terres. J’ai appris à travailler l’argile crue avec eux. C’était vraiment la plus incroyable expérience de ma vie. Une opportunité de reconnecter avec ma propre culture, la Terre Mère, avec moi-même.

Un de ces moments où tout s’aligne et où tu ne peux pas faire marche arrière », souffle-t-elle. À Casa Julfa, elle propose deux types de résidence pour la poterie : autonome et accompagnée. Dans les deux cas, une approche rustique et traditionnelle du travail de l’argile est encouragée, à l’aide de faïences locales uniquement : une porcelaine fine produite à proximité de Limoges et une terre cuite riche en mica. « J’adore aller chercher moi-même mon argile dans la terre ! Quand on prépare l’argile de cette façon, cela change tout. On réfléchit vraiment à ce qu’on est en train de fabriquer et pourquoi. On développe une connexion beaucoup plus profonde avec notre environnement, et nos ancêtres aussi.» 

L’inscription aux résidences se fait librement, dès que le planning de réservation est ouvert. « Nous n’avons plus de processus de candidature car nous pensons que cela contribue à l’instauration de systèmes autocratiques et patriarcaux dans les sphères créatives. Après avoir accueilli pendant cinq ans des résidents de tous les horizons et du monde entier, nous faisons davantage confiance au pouvoir de Casa Julfa pour attirer les âmes les plus spéciales. »

Un environnement inspirant

Installée au cœur de la pittoresque Ville d’art et d’histoire de Montmorillon, près de Poitiers, la maison est l’endroit idéal pour se ressourcer dans un environnement inspirant, entre cité médiévale et champs à perte de vue. La région a une longue histoire de pratiques créatives allant de l’écriture à la poterie, en passant par le tissage de paniers, le travail du bois, du cuir, de la dentelle et du papier ; un patrimoine que l’on peut ressentir à Casa Julfa, où Corinne s’est employée à préserver le charme de l’ancien autant que possible. « Je crois qu’il faut apprendre à vivre avec le passé. Je respecte toujours le bâtiment, je n’aime pas imposer. C’est l’artiste contemporain qui sommeille en moi ! J’observe comment la lumière se balade et je réfléchis à mettre en valeur tous les précieux détails. »

Elle a ainsi tenu à conserver les papiers peints ou les fresques d’origine. « On passe tellement de temps à écouter ces vieux murs de la Casa Julfa pour pouvoir essayer de les restaurer avec soin et considération… » L’aménagement de la maison est en perpétuel mouvement puisque les rénovations progressent chaque année entre novembre et février-mars, quand la résidence est fermée. Aux côtés de Blue Firth, son amie et curatrice en résidence, Corinne fait évoluer chaque jour son refuge sacré pour mieux accueillir avec authenticité tous ceux qui ont envie de créer.

@casa.julfa

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