Keda, tu as écrit une vingtaine de livres de cuisine ; on ne compte même plus ! Peux-tu revenir sur ton parcours ?
La cuisine a dès l’enfance fait partie de ma vie : j’observais ma grand-mère qui cuisinait beaucoup, ou ma mère qui était végétarienne et dont la cuisine très simple était home made ; elle faisait tout elle-même. Durant mes études pour devenir conservatrice de bibliothèque (mon premier métier), j’ai eu envie de retrouver ce goût des choses brutes, comme une pâte à tarte maison. Plutôt que d’aller au restaurant universitaire, je préférais préparer mes repas dans ma chambre d’étudiante. De fil en aiguille, j’ai commencé à écrire pour Le Fooding, lorsque c’étaient les débuts de cette aventure. De là, j’ai rencontré des journalistes et des éditrices qui m’ont permis de travailler dans ce domaine, de créer des recettes ou des livres.
Quelle est la particularité de ce nouvel ouvrage, Le Goût du jour ?
C’est mon livre le plus personnel, le seul dans lequel j’apparais et où les photos sont réalisées chez moi, entre le 18e arrondissement de Paris et ma maison dans le Cotentin. Il est également très personnel car sans thématique précise : il contient uniquement des recettes que je fais toute l’année, au quotidien ou pour des occasions spéciales. Imaginé par la styliste Sonia Lucano et photographié par son mari Frédéric (un duo avec qui je travaille depuis longtemps), ce projet est très libre. On a en effet tenu à avoir carte blanche, notamment sur la place accordée aux textes.
C’est pour cela que tu confies tes recettes, mais aussi plein d’informations sur les ingrédients ou des conseils et suggestions de préparation ?
Oui, c’est exactement ce que je souhaitais : être dans une sorte d’accompagnement et de promenade plutôt que de donner uniquement des recettes, des recettes et encore des recettes. C’est d’ailleurs typique des livres issus de l’édition anglo-saxonne avec lesquels j’ai appris à cuisiner. Ces livres n’avaient pas de photos de plats mais beaucoup de contenus écrits qui expliquaient, qui racontaient, et ensuite arrivait la recette. J’aime l’idée de dessiner un contexte, d’expliquer pourquoi utiliser tels ingrédients ou telles techniques de préparation, car la cuisine au jour le jour est sujette à évolution et métamorphose. Lorsque vient le moment de préparer un repas, tout dépend du lieu où tu as fait tes courses, avec qui tu manges, ce dont tu as envie. Ce contexte permet aussi à chaque lecteur de s’approprier le livre avec le plus de liberté possible.
Décliner plusieurs propositions depuis la recette d’un poulet rôti du dimanche participe aussi à cette “promenade culinaire” ?
En effet, c’est une histoire de ricochets : une recette en amène une autre, et le traditionnel poulet du dimanche s’y prête parfaitement. Cela commence donc avec le poulet rôti puis, avec les restes de celui-ci, on peut préparer une tourte ou du bouillon. Grâce à ce bouillon, il est ensuite possible de faire un risotto ou une soupe grecque que j’adore, composée de blettes, de petites pâtes et d’une émulsion œuf- citron qui vient épaissir le bouillon et le transformer en un plat plus élaboré. Cette succession de recettes tout au long d’une semaine est à la fois une pratique créative et une logique du goût permettant de ne pas gâcher la nourriture et de sublimer de nouveaux plats.
Le Goût du jour se feuillette au fil des saisons. Quel est ton rapport avec ces dernières, sachant que tu vis entre la ville et la campagne normande ?
À l’extérieur de Paris, les saisons sont d’autant plus sensibles et visibles. Je ne suis pas une spécialiste de la cueillette, mais en Normandie il y a une telle profusion que mon réflexe est d’en profiter, notamment lorsque c’est la période de l’ail des ours, ou des primevères avec lesquelles je prépare un gâteau baptisé Le Pouvoir des fleurs. Ces recettes sont comme des rituels printaniers qui célèbrent la magie saisonnière et la dualité de l’éphémère, entre joie et nostalgie. Ma saison favorite est l’été ; alors, ce que je préfère durant l’automne, c’est la fin de l’été, lorsqu’il reste des tomates, des figues, et que le raisin arrive. Du raisin rôti dans un plat de légumes au four, c’est délicieux. À Paris, j’habite près de la gare du Nord et des épiceries indiennes ou japonaises ; des saveurs que l’on retrouve par touches dans ma cuisine et qui rejoignent aussi quelques influences helléniques, car j’ai vécu en Grèce entre 2005 et 2008.
As-tu une recette “fétiche” dans ce livre ?
Elles le sont toutes, mais si je devais choisir, j’irais plutôt du côté sucré avec le Lemon Meringue Pie, une recette héritée d’une amie de la famille qui est galloise, la pavlova que j’ai simplement intitulée Rhubarbe et meringue, le Trifle qui était le gâteau confectionné par ma maman à chacun de mes anniversaires. Ces desserts évoquent mes origines anglo-saxonnes (mon père est écossais) et les meringues ou scones que j’adorais déjà confectionner enfant. Bref, j’adore les gâteaux ou tout ce qui est à base de pâte ; dans le livre, je donne d’ailleurs ma recette de pâte avec du beurre congelé et râpé pour un effet croustillant, avec laquelle confectionner une tarte aux pommes ou aux blettes.
En 20 ans et une vingtaine d’ouvrages, comment a évolué ta cuisine ?
J’ai toujours beaucoup cuisiné les légumes et, sans vraiment l’anticiper pour ce livre, le végétal y est bien plus présent que la viande. Il y a par exemple la recette des lasagnes à la courge et aux épinards qui est très significative, car elle constitue un vrai bon plat de légumes fin et léger (ce sont les courges coupées en feuille qui font office de lasagnes). Et ce n’était pas le cas il y a 20 ans, mais les bouillons font désormais partie intégrante de ma cuisine, j’en prépare dès que possible.
Dans l’introduction de ton livre, tu évoques ceci : « Utilisons tous les jours nos plus jolies assiettes et, de temps à autre, dressons une table splendide ! » As-tu des bonnes adresses à nous recommander ?
Il y a évidemment Merci et La Trésorerie, deux références parisiennes pour l’art de la table ; sinon, j’adore chiner dans les ressourceries ou les brocantes de Normandie. J’aime aussi beaucoup les créations de Charlotte Lascève et Laurette Broll, deux céramistes très talentueuses (@charlottelasceve, @laurette.b).
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HOME FOOD
Numéro 7 (octobre/novembre/décembre) – Joie de recevoir
7,90€

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