Les Résistants sont nés il y a presque dix ans. Quelle est la singularité de ce projet qui compte aujourd’hui un restaurant, un comptoir, une table, une cave et une épicerie ?
Florent Piard : Notre particularité, c’est qu’on fait de la restauration en allant sur le terrain agricole. On passe beaucoup de temps avec le milieu paysan pour essayer de créer un vrai pont entre la production et la transformation alimentaire. Les produits qu’on utilise dans nos adresses proviennent de fermes soigneusement sélectionnées et on peut expliquer pourquoi on a choisi chacun des ingrédients qui composent nos plats. Que ce soit pour le sel, la farine, la viande ou les champignons, nos choix sont orientés par une question de système. Dans le cas des produits laitiers, on sélectionne uniquement des systèmes basés sur le plein air intégral, des prairies permanentes, des races locales, une agriculture biologique et des systèmes herbagers.
Avec combien de producteurs différents travaillez-vous ?
Florent Piard : Ils sont environ 150, répartis partout en France. Parmi nos producteurs historiques, il y a la ferme des 7 Chemins en Loire-Atlantique. Cédric, Hervé et Mathieu transforment en produits laitiers exceptionnels le lait de leur quarantaine de vaches bretonnes pie noir. Ils ont un équilibre économique qui fonctionne et sont très impliqués dans le développement local de leur filière.


Ils militent notamment pour les races locales et organisent de nombreux événements culturels dans le Pays de Redon. C’est avec eux qu’on a construit un système unique, qui leur permet de valoriser au mieux tous leurs produits, notamment le gwell. En maraîchage, on travaille avec la ferme des Gobettes. Elsa et Thibaut étaient journalistes puis se sont installés dans l’Eure sur un peu plus d’un hectare. Avec Charlotte, ils cultivent des légumes uniquement issus de semences paysannes.
De quel challenge est née la Table des Résistants ?
Florent Piard : Au début de l’année, alors que l’on se questionnait sur l’avenir de L’Avant-Poste, notre ancien restaurant, René Redzepi annonçait la fermeture de Noma [restaurant 3 étoiles au Danemark, nommé cinq fois meilleur restaurant du monde, NDLR]. Il affirmait l’impossibilité de faire une gastronomie respectueuse des gens. Même si on n’a jamais eu l’ambition de faire quelque chose d’aussi pointu, on a voulu prouver qu’avec notre système de fonctionnement artisanal et les produits que l’on utilise, c’est possible de faire une gastronomie exigeante et abordable. Pour cela, on a dû abandonner un tas de codes superflus, notamment en termes de service. Par exemple, on ne peut pas avoir un chef de rang par client, car le prix du menu ne serait pas le même !


Pourquoi proposer une expérience gastronomique à travers un menu carte blanche ?
Maurizio Madaio : Quand j’étais sous- chef chez David Toutain, je travaillais déjà de cette façon-là. Ça me plaisait d’offrir une expérience complète et festive, dans laquelle le client s’assoit et les assiettes se succèdent. Cette part d’inconnu m’intrigue aussi en tant que client, alors j’essaye de proposer la même chose ici, pour leur faire plaisir et peut-être les épater avec des produits qu’ils n’auraient pas forcément choisis à la carte. Les réconcilier avec la betterave, par exemple !


Comment s’incarnent les enjeux de l’agriculture paysanne durable dans l’assiette ?
Florent Piard : À chaque instant, on s’adapte à ce que la nature nous donne. C’est facile à dire, mais en réalité, peu de restaurants le font. Maurizio a intégré toutes les contraintes de l’agriculture paysanne : des produits peu normés, qui ne cuisent pas de la même manière à chaque fois, qui arrivent parfois en retard…
Maurizio Madaio : Je cuisine avec de nombreuses contraintes, notamment les aléas climatiques. Cette année par exemple, les tomates ne sont pas aussi bonnes que celles de l’année dernière. Mais je m’adapte, je continue d’en commander pour soutenir les producteurs et j’essaye de les valoriser différemment. Ça vaut pour tous les produits ! La cuisine que je fais à
La Table des Résistants n’est sûrement pas celle que j’aurais faite dans un autre restaurant car c’est le produit qui dicte les règles, et pas moi en tant que chef. Florent Piard : Le problème de la gastronomie, c’est qu’elle n’a jamais voulu faire ces concessions-là. Je suis convaincu qu’il n’y aura pas de révolution en cuisine tant que tous les chefs ne seront pas guidés par ce principe : on ne fait pas en fonction de ce que l’on veut faire, mais en fonction de ce que l’on reçoit. Le vrai défi aujourd’hui, c’est de le faire à 100 % !




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