Comment êtes-vous arrivée à ce métier de céramiste ?
Avant, j’étais productrice dans le secteur audiovisuel ; je faisais du talent coaching. J’aidais des réalisateurs prometteurs à faire des bandes démos et à les promouvoir. Après dix ans, j’ai eu le choix de m’associer. Mais ma démarche, consistant à donner vie aux idées des autres, était arrivée à bout de souffle. J’avais envie de donner envie à mes propres idées, de faire de l’objet.
D’où vient cette envie de travailler l’objet ?
J’ai eu une formation d’histoire de l’art, et je viens d’une famille avec la fibre artistique. Mon grand-père était artiste et violoniste (amateur). Il y avait toujours un chevalet et une toile en cours chez lui dans son atelier. Ma mère était artiste peintre (cela a été son activité pendant des années) et elle faisait aussi des collages. Peut-être car ils travaillaient des surfaces planes, j’ai été pour ma part attirée par le volume, avec l’idée du toucher ; j’aimais les collages de ma mère pour cela. Enfant, j’étais frustrée de ne pas pouvoir toucher les œuvres dans les musées. J’avançais mon nez au plus près des toiles, les mains dans le dos. Aujourd’hui, je dis à mes clients : « Passez, venez voir et toucher ! » J’aime qu’ils le fassent car le contact avec la matière crée une histoire. Parfois, ils ont une préférence pour une applique, à partir d’une photo, mais cette dernière change lorsqu’ils touchent la matière.
Par quoi avez-vous commencé ?
J’ai appris la céramique en autodidacte en prenant une place dans un atelier partagé de potiers qui m’ont partagé leurs conseils. Je me suis donnée corps et âme et j’ai progressé en faisant des erreurs, en cassant des choses. J’ai fait un petit peu de pièces utilitaires, comme de la vaisselle, pour me familiariser avec le travail de l’émail, et en parallèle j’ai fait des installations murales, des grands tableaux en céramique, avec et sans émail. Puis je me suis tournée vers le luminaire.
Pourquoi privilégiez-vous désormais votre travail autour du luminaire ?
Dans le travail de commande de vaisselle, je me suis moins amusée. À part le travail des émaux, c’est une forme qui est toujours la même, qu’on produit en 50 ou 100 exemplaires ; cela amène un côté manufacture qui m’ennuyait et qui faisait trop en termes de quantité. Je voulais garder une production plus petite et j’ai privilégié les luminaires, il y a moins d’enjeux et de contraintes.
Quelle est votre démarche concernant ces derniers ?
Ce sont plus des lumières d’ambiance qu’utilitaires. Je m’amuse en me concentrant sur le rayonnement que va avoir la lumière. Je tisse un jeu entre ombre et lumière pour avoir une applique très vivante, qui du jour à la tombée de la nuit prend d’autres formes, ou d’autres teintes, plus rosées. Les matériaux utilisés sont du grès, de la porcelaine et du verre, le tout fixé sur du laiton. C’est la même ondulation pour le verre et la céramique, thermoformé par superposition. Je façonne les plaques de porcelaine et de grès à la main, elles sont ensuite cuites et le verre est thermoformé dessus en repassant au four. Il prend l’empreinte de la terre, qui prend l’empreinte de la main. Cela donne une impression de mouvement figé, comme un coup de vent qui soulève les éléments.
Quel est votre rapport à la couleur ?
J’aime la couleur chez les autres mais personnellement je suis plus dans le minéral, le naturel. Je considérais mon atelier à Paris comme ma plage à moi ; il y avait des tons minéraux, doux. Mes luminaires présentent un camaïeu d’ocres, de beiges, de tons de roche, de pierre. Je surcuis ou je sous-cuis ; la température de cuisson joue sur la nuance de la terre. À 100 °C de plus ou de moins, cette dernière peut être plus foncée ou plus claire, plutôt ocre ou plutôt beige. À l’occasion je mélange certaines terres ou certaines chutes, ce qui crée une nouvelle couleur, éventuellement une nouvelle texture. J’essaie de pousser la matière au maximum de ce qu’elle peut offrir.
D’où provient votre terre ?
À 90 % de France, de Limoges, un petit peu d’Angleterre et j’utilise aussi une terre noire d’Allemagne. En arrivant au Portugal, je vais mener une recherche avec les terres que je vais trouver ici, car je souhaite travailler de la même façon que jusqu’alors avec des terres locales.
Vous évoquez parfois le wabi-sabi. Quel rapport entretenez-vous avec ce style japonais ?
Ce que j’aime dans le wabi-sabi, c’est la collaboration avec la matière. Quand on la travaille, il y a des accidents. En faisant des expériences, il y a de belles choses qui ressortent. La porcelaine, par exemple, a beaucoup de mémoire. En la cuisant, un défaut ou une ondulation reviendra, bien qu’on l’ait retravaillé. Il y a une part d’incontrôlable dans le wabi-sabi, et je l’accepte ; il n’y a pas de ratés. Quel que soit le résultat, c’est celui qu’il devait y avoir. Ce qui n’a pas été imaginé ne signifie pas que c’est raté
Que pouvez-vous nous dire de votre participation au projet Louis 200 ?
À l’occasion des 200 ans du fondateur de la marque éponyme Louis Vuitton, celle-ci a demandé à 200 artistes hétéroclites (designers, danseurs, musiciens…) de réinterpréter l’imagination, la création, à partir d’un rectangle en bois au format de leur malle historique de voyage. Pour moi, le voyage étant une vie, je me suis demandé ce qu’on retirait de cette expérience : les lieux, les paysages, les personnes… C’est une accumulation de souvenirs que j’ai représentée par une accumulation de plaques (en céramique et en verre). Chacune prend la forme de la précédente. C’est comme une empreinte, et cela signifie que chaque étape me fait grandir. L’ensemble est placé à l’intérieur de la malle ajourée comme une fenêtre sur une âme : « Voilà les souvenirs que moi, je choisis de garder dans ma vie. » Cela évoque aussi les strates de sédimentation géologique.
Nous observons sur la dernière année un regain d’intérêt pour l’artisanat. Partagez-vous ce constat ?
Il y a un retour à la matière, même de la part de marques connues, qui proposent des céramiques vendues comme faites à la main, bien que ce ne soit pas le cas, ce qui peut être dur pour les artisans qui font des vases ou de la vaisselle, d’autant que c’est vendu cinq ou six fois moins cher. Mais en céramique, c’est le temps qu’on passe sur un objet qui en détermine le prix. Malgré tout, les gens ont envie de fait main et d’être en contact avec la personne qui fabrique. Le céramiste propose quelque chose plus ou moins sur-mesure. Les gens apprécient l’échange, le fait de choisir ; ils souhaitent avoir un objet qui a une histoire. Après le premier confinement, des personnes s’arrêtaient spontanément à l’atelier ; il y a eu une envie de fabriquer soi-même à travers les ateliers. Il y a eu un beau moment, une envie agréable d’un retour à l’artisanat.
Vous avez mis le cap sur le Portugal à l’été. Qu’est-ce que cela vous apporte ?
J’ai eu envie de créer un lieu dans lequel je peux accueillir des artistes en résidence ; je me suis tournée vers le Portugal où il fait bon vivre, et pour être plus en contact avec la nature, qui apporte plus d’inspiration. Cet endroit, lieu de passage créatif, se destine à accueillir des jeunes sortant d’écoles d’art, des designers ayant envie d’un projet céramique, des artistes souhaitant s’essayer à ce matériau ou des photographes voulant s’essayer au volume. Le but n’est pas de créer une collection, mais juste d’offrir la possibilité d’une expérience avec la terre, le verre ou le plâtre.
En arrivant à Lisbonne, je n’avais plus envie d’être seule dans mon atelier ; et puis, je souhaite partager autour de ce matériau que j’adore, brasser des savoirs, des connaissances. J’ai envie d’être dans la transmission ; je serai le support technique, en appui de l’envie ou de l’imaginaire des résidents.
Quels sont vos projets à venir et projets rêvés ?
Je pense à une table en gardant cette idée d’accumulation, une superposition de pierre et de bois, avec du mouvement, bien que ce dernier soit plus compliqué à retranscrire avec la pierre.
Autrement, j’aimerais faire une exposition immersive qui réunirait plusieurs sens. Il pourrait y avoir un nez, quelqu’un qui travaille le son, quelqu’un pour la nourriture, et une autre personne pour la photographie. Une exposition immersive, à vivre, qui nous en mettrait plein les yeux, les oreilles et les mains… mais ce type de projet s’écrit au fil des rencontres.
De quels créatifs appréciez-vous le travail ?
J’adore Baptiste et Jaïna, je trouve ça magnifique dans le genre. J’ai aussi été subjuguée par le travail de la matière de Mathieu Lehanneur, le renversement des apparences, et ce de façon tellement belle. Il est pour moi l’un des grands designers. J’aime aussi Pauline Guerrier, dont le travail plastique a tout d’une poésie extrême. Et le travail d’Ólafur Elíasson, incroyable pour son rapport à la lumière.