Bonjour Hannah. Peux-tu nous raconter comment tu en es venue à t’intéresser aux maquettes ?
Elles me fascinent depuis l’enfance. J’ai grandi dans un tout petit hameau des Cévennes où il y avait beaucoup de ruines. Je m’amusais à les reconstruire dans mon imagination. J’ai aussi beaucoup observé mon père et mes frères, maçons en pierres sèches, construire bâtiments et maisons en s’appuyant sur leurs propres maquettes. Petite, je disais à mes grands-parents que je voulais « créer des choses belles pour les gens ». J’ai découvert ensuite que cette activité portait un nom : le design.
Justement, tu as suivi des études de design d’espace et tu es diplômée en arts appliqués. Qu’as-tu appris durant ce parcours ?
Pendant mes études en design d’espace, j’ai découvert la notion d’espace au sens large, notamment à travers le prisme de l’humain et les concepts philosophiques. Je passais déjà de plus en plus en temps (et même un peu trop parfois selon mes professeurs) sur la maquette, un support indispensable pour prévisualiser un projet. Je commençais à saisir tout ce qu’elle pouvait offrir, bien au-delà d’un simple objet éphémère qui précède une construction. Mon diplôme en design textile et matériaux m’a apporté de solides connaissances sur la matière, ses couleurs et ses textures. J’ai continué à construire mon savoir-faire technique et sensoriel dans le domaine de l’architecture, jusqu’à créer mon entreprise en 2019, alors que j’étais encore étudiante. À partir de ce moment-là, le papier est devenu mon unique allié.
Qu’est-ce qui te plaît dans le papier ?
Sa finesse, sa légèreté, sa gamme de couleurs intenses… Il permet une précision inégalable dans l’interprétation de l’atmosphère et du style d’un lieu. Ses textures sont une richesse infinie pour multiplier les effets de surface : on peut le découper, le courber, le percer, le superposer, le froisser, le gaufrer, le colorer, le dorer. Le papier offre divers possibles : on sculpte le relief comme avec la pierre, on construit le volume comme avec du bois, on recherche la couleur comme on le fait pour une peinture, mais tout cela avec une souplesse et une délicatesse qu’aucun autre matériau ne présente.
Ton atelier regorge de papiers de toutes les couleurs, c’est une ressource précieuse pour toi ?
J’ai mis des années à obtenir cette collection. C’est compliqué de se procurer du beau papier teinté dans la masse. Dans mon travail, j’ai besoin d’aller chercher des couleurs particulières et vibrantes, en quantité suffisante pour obtenir un décor riche et vivant. Au début, je me suis constitué un stock de façon complètement empirique, cela m’a pris beaucoup de temps.
Comment conçois-tu tes maquettes d’architecture ?
Nous avons tous un endroit qui nous est cher, et que l’on voudrait immortaliser à jamais. Lorsque je crée une maquette originale, je mets la technique au service des souvenirs et des émotions, sans me limiter à une reproduction normée qui serait inanimée. Je fonctionne toujours de la même manière : d’abord j’observe le lieu (une maison de famille, un hôtel, une crique secrète…), puis je choisis les détails que je vais représenter, ceux qui ont du sens et qui portent l’empreinte de ceux qui vivent ou vivaient là. Ensuite, j’anticipe et je pense toute la construction en amont, pour qu’à la fin, tout soit à sa juste place. Et enfin je donne du corps à la maquette en travaillant le caractère de chaque élément. La force des lignes, l’élan des courbes, l’intensité des couleurs… Au fur et à mesure, la magie opère, grâce à la précision de l’infiniment petit, la préciosité de la maquette, et la poésie du papier.
Tu portes un soin tout particulier à reconstituer un environnement autour de tes maquettes, pourquoi ?
Je suis très attentive au rapport entre l’architecture, son paysage et la topographie. En plus de la précision et des détails architecturaux, la maquette s’implante dans l’environnement lui aussi représenté. Pour moi, c’est ce qui fait sens dans un lieu. Que serait un mas provençal sans son allée d’oliviers ? Si mes clients adoraient prendre le petit déjeuner à côté du rosier dans le jardin de leur maison de famille, alors je vais recréer cette scène miniature dans la maquette et m’employer à reproduire ce souvenir personnel grâce à la qualité des détails.
Dans ton travail, tu soulignes la valeur émotionnelle de la maquette. Peux-tu nous en dire plus ?
Ce qui m’intéresse vraiment, c’est rendre hommage aux histoires et à ce qui a été bâti. La maquette est un objet pérenne qui traverse les décennies. Elle prend place au milieu d’une pièce, au centre de la maison de famille, au cœur d’un lieu important. C’est un cadeau partagé unique, un témoin de l’histoire et de ces endroits qui ont construit nos vies. J’aime l’idée de faire honneur au patrimoine et de le transmettre à travers la maquette.
Sur ton site, tu écris que tes paradis miniatures sont « des représentations du monde réel qui laissent la place à la rêverie et à l’imagination ». C’est la merveille du mimétisme ?
La miniature fait rêver. Elle ouvre une porte, et aussi étroite soit-elle, elle ouvre un monde. Elle se substitue au réel et devient le berceau de la grandeur, des rêves, des voyages immobiles. La miniature est une manière de décrire l’espace pour moi. Je fais naître des échappées à portée du regard, des lieux qui se reposent sans jamais s’endormir, des univers où le temps est suspendu.
Tu es native du sud de la France, qu’est-ce qui t’inspire dans cette région ?
Ses paysages gorgés de soleil où l’on entend chanter les cigales : les champs de vignes, les coins de rivière que l’on garde secrets, les goûters sous les cerisiers en fleurs, les tomates que l’on picore directement dans le potager… Mes paysages miniatures sont sans aucun doute un hymne à la douceur de vivre méditerranéenne.