Artisanat : les céramiques de Julie Boucherat

C’est dans les ruelles du vieux Bayonne que la fondatrice du label Mano Mani a inauguré cet été son premier atelier- boutique. Cet espace façonné à l’instinct évolue au gré de ses créations uniques et des artistes et artisans invités. Rencontre avec une créative guidée par la spontanéité !

Par Louise Conesa – Photographies : Franz Vulder Allain (FVA)

D’où vient votre attrait pour le travail de la terre ?

« Je viens d’une famille d’artisans. Mon grand-père était tapissier décorateur, ma grand-mère couturière, et ma mère sculpte l’argile. Dès mon plus jeune âge, elle m’a transmis ce goût pour le travail manuel en m’inscrivant à des classes de poterie. J’ai tout de suite été passionnée par cette discipline, que j’ai pratiquée toute mon enfance. Au fil du temps, j’ai cependant fini par me détacher de la pratique, sans pour autant m’éloigner du domaine artisanal. Journaliste à Paris dans la presse décoration, j’étais sans cesse entourée d’artistes et d’artisans, et au fond de moi, j’avais envie de faire partie de leur bande, passer de l’autre côté. »

Comment êtes-vous retournée à la poterie ?

« J’ai visité de nombreux ateliers et rencontré beaucoup d’artistes au cours de ma carrière. J’étais de plus en plus obsédée par la céramique, et un jour, j’ai sauté le pas, et je me suis inscrite à l’atelier Terre de Lune d’Annie Metzger. Dès les premiers instants, j’ai replongé : l’odeur de la terre, le toucher de l’argile, les outils, l’atmosphère à l’atelier… Cette expérience multisensorielle a agi comme un électrochoc, et m’a donné l’élan pour me consacrer pleinement à la céramique. Alors, à la naissance de ma fille Mao, j’ai quitté Paris pour le Pays basque. C’est ici que j’ai fondé Mano Mani, en 2019. »

Où s’est forgé votre langage artistique ?

« L’atelier Terre de Lune a été une grande inspiration pour moi, car j’ai beaucoup appris de mes deux formatrices : Annie Metzger, la fondatrice, et Magali Satgé. L’une s’est formée au Japon tandis que l’autre a fait ses classes en Égypte. Leurs deux esthétiques m’ont énormément nourrie et se retrouvent aujourd’hui un peu dans mes créations, qui allient lignes brutes et amour de la texture. Mon expérience auprès du céramiste et maître du thé japonais, Rizu Takahashi, a également été importante dans mon parcours. Sa transmission de techniques japonaises de modelage, parfois située aux antipodes de notre façon de faire occidentale, a exercé une grande influence sur mon travail. Plus généralement, je suis très inspirée par les figurines et les formes antiques gréco-romaines, l’Arte povera, l’art de la table japonais et coréen, et l’artisanat en général, une grande passion. D’ailleurs, si je le pouvais, j’expérimenterais tout : la broderie, le travail du bois, la vannerie, le tissage… »

« Je mène un véritable dialogue avec l’argile, cette matière vivante qui peut contraindre. »

Peut-on dire que liberté et spontanéité sont les maîtres mots de votre processus créatif ?

« Oui, c’est le mantra de Mano Mani. J’aime fabriquer de façon spontanée des pièces, sans intégrer de notion de reproduction ou de travail en série. Chaque pièce est unique, c’est ce qui lui confère sa valeur ; d’autant que l’écoute de la terre joue un rôle très important dans mon processus créatif. Je mène un véritable dialogue avec l’argile, cette matière vivante qui peut contraindre. J’ai appris à l’écouter, à me laisser guider. J’aime composer avec sa résistance. »

Vous développez également un travail artistique à l’occasion d’expositions ?

« Oui, ma démarche artistique est elle aussi spontanée, et fortement influencée par le contexte. J’aime croiser les arts en m’entourant d’artistes aux pratiques diverses afin d’imaginer des ensembles atmosphériques. Pour ma dernière exposition, en mai 2023, j’ai travaillé en collaboration étroite avec l’artiste musicien et vidéaste Franz Vulder Allain. Ensemble, nous avons créé Tobi ishi, une exposition de céramique immersive pensée pour une chapelle désacralisée de Saint-Martin- de-Seignanx, dans les Landes. Tobi ishi est une expression japonaise qui signifie ‘‘pierres volantes’’ et désigne le fait de sauter de pierre en pierre pour traverser un cours d’eau, passer d’un espace à un autre par petits bonds. Dans ce lieu incroyable, patiné par le temps, le visiteur était invité à vivre une existence métaphorique dans un paysage de céramique. »

Qu’explorez-vous dans la poterie en ce moment ?

« À l’occasion de Tobi ishi, j’ai notamment travaillé autour de la typologie des pique- fleurs et des tulipiers, en imaginant de grandes sculptures à fleurir. L’effet escompté était de cacher la tige pour ne laisser apparaître que les fleurs, comme si celles-ci avaient poussé directement sur la céramique. J’ai eu envie de poursuivre mes réflexions autour de la présentation florale, en travaillant sur un ensemble de petits vases ikebana (art floral japonais), destinés à recevoir des arrangements floraux épurés et originaux. En parallèle, j’expérimente à partir de différentes terres et minéraux que je récolte au fil de mes voyages. Je souhaite aussi développer davantage la cuisson au bois. »

Vous avez récemment ouvert votre atelier-boutique à Bayonne. Comment l’avez-vous imaginé ?

« Mon ancien atelier était situé à Biarritz, au sein du centre d’art alternatif Pioche Projects. J’y ai passé trois années géniales, mais je cherchais à me rapprocher de chez moi, à Bayonne. J’ai eu la chance de trouver un local situé dans le quartier des métiers d’art, dans le centre historique. Avec ses deux pièces ce lieu accueille mon atelier à l’arrière et ma boutique qui donne sur la rue. Une fois de plus, tout s’est fait de façon très spontanée et naturelle. Ici, j’ai eu envie d’imaginer une sorte de boîte blanche, tout a été peint en School House White de Farrow & Ball, une couleur qui me rappelle le grès cru. J’ai décidé d’y exposer mes céramiques bien sûr, mais également des pièces complémentaires d’autres artistes et artisans avec lesquels je partage une esthétique, une sensibilité. On y retrouve les bouquets de moisson d’Emma Bruschi, les feuilles sculptées et les mobiles en bois de Sepa, les collages textiles de Sonia Laudet, ou encore les fleurs en papier peintes à la main de Margaux Dereume, aka Tij. »

Votre boutique va-t-elle évoluer au fil du temps ?

« Oui ; tout comme les collections Mano Mani, la boutique a vocation à être un lieu libre et spontané. J’aimerais qu’elle devienne un espace d’échanges et de rencontres créatives, grâce à des ateliers ponctuels organisés aux côtés des artistes et artisans que je représente ici. Je souhaite aussi la faire vivre au fil de mes envies, en imaginant des événements avec mes amis artistes, musiciens, chefs… Il y a zéro limite. L’agenda sera à retrouver sur Instagram très prochainement. »

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Mano Mani,
17 rue Lagréou, Bayonne.
@bonjourmanomani / manomani.fr

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Article à retrouver dans le HOME Magazine n°108 (novembre-décembre 2023), disponible en kiosque
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