Artisanat : les teintures naturelles de Sandrine Rochat

Créer à partir de ce que la nature offre, sans chercher à la contraindre, tel est le fil rouge du travail de Sandrina Rocha. Cette artiste textile lyonnaise puise dans les ressources végétales pour révéler la beauté du tissu. À travers la teinture naturelle, elle compose avec le vivant, l’éphémère, l’accident.

Par Iris Cazaubon – Photographies : Solenne Jakovsky

Quel chemin vous a menée vers la teinture végétale ?

Je suis née à Lyon dans une famille modeste mais riche en savoir-faire manuels : une grand-mère passionnée de fleurs, un grand-père tailleur, une mère coiffeuse. Très tôt, j’ai ressenti le besoin de créer mais mes parents m’ont orientée vers un parcours plus classique ; puis un déclic est survenu pendant ma première grossesse. En décorant la chambre de mon enfant avec des objets faits main, j’ai ressenti une joie profonde. J’ai commencé à tisser, à offrir mes créations, puis j’ai lancé ma première marque, WOOLALA, autour du tissage, du macramé et de la tenture murale. C’est en lisant un blog que j’ai découvert la teinture végétale – et appris qu’on pouvait teindre avec des déchets comme les peaux d’avocat. J’ai tenté l’expérience, et ce fut une véritable révélation.

J’ai commencé par teindre de la corde puis je suis passée à la soie, séduite par sa brillance et sa capacité à capter la lumière. En 2018, je me suis entièrement consacrée à cette pratique. Avec la teinture végétale, il n’y a pas de plan figé : on collabore avec les plantes, la saison, le tissu… Chaque résultat est unique, imprévisible. Ma première technique a été le bundle dye, qui consiste à placer des végétaux directement sur le tissu, le rouler puis le faire chauffer à la vapeur. Découvrir les motifs révélés à l’ouverture du tissu est toujours un moment magique. Depuis, j’explore également d’autres techniques comme les encres végétales, l’éco-print ou encore le tataki zomé.

Comment décririez-vous votre démarche ?

Intuitive, sensorielle et engagée. Je suis plutôt une fille de la ville mais travailler avec les plantes m’a permis de renouer avec la nature. Je n’utilise que des tissus naturels ou revalorisés – comme de la soie issue de stocks dormants – et des déchets végétaux collectés auprès de restaurateurs ou de fleuristes : peaux d’avocat, pelures d’oignon, fleurs fanées… Je compose avec ce que la nature m’offre, au fil des saisons. Certaines plantes ne se récoltent qu’à une période précise, comme les cosmos de juin à octobre. Chaque plante, chaque fibre réagit différemment : j’accueille ces nuances et ces accidents comme des richesses plutôt que des défauts. Je m’inspire aussi de savoir-faire ancestraux. C’est une façon de tisser un lien entre passé et présent, entre matière et mémoire. Ma démarche s’ancre dans une écologie du bon sens : réutiliser, détourner et collaborer avec des producteurs locaux – comme une ferme familiale près de Lyon ou des cultures florales spécialisées en plantes tinctoriales.

Qu’est-ce qui vous anime dans votre métier ?

Ce qui m’anime profondément, c’est la curiosité et l’expérimentation permanente. Prendre le temps de choisir la plante, penser le motif, me laisser porter par la matière… c’est une forme de méditation active. Créer des objets qui établissent un lien entre nature et beauté me touche. J’aime que mes réalisations trouvent leur place dans un intérieur, qu’elles invitent à la contemplation. Réaliser des œuvres complexes, comme un grand tableau textile qui a demandé plus de 35 heures de travail, est également une source immense de satisfaction. Voir ces 42 pièces, fruit de patience et de minutie, prendre vie, est vraiment ce qui me fait vibrer.

Quelles sont vos sources d’inspiration ?

Je puise beaucoup dans les savoir- faire anciens, comme le patchwork coréen qui sublime la réutilisation. Pour la teinture végétale, mes figures de référence sont Michel Garcia, Dominique Cardon ou Élisabeth Dumont. Côté contemporain, je suis sensible aux démarches de Cara Marie Piazza aux États-Unis, de Maibe Maroccolo au Brésil, qui explore les fleurs locales et les traditions oubliées, ou encore de Flavia Aranha. Toutes ces approches nourrissent une vision à la fois poétique, engagée et profondément connectée au vivant.

Quelles directions avez-vous envie d’explorer aujourd’hui ?

Je continue à proposer des ateliers àLyon, dans mon espace partagé avec une céramiste, pour transmettre cette alchimie qu’est la teinture végétale. Je participe aussi à des événements comme la Slow Fashion Week. Aujourd’hui, j’ai surtout envie d’explorer l’univers de la décoration : imaginer des pièces uniques pour des intérieurs, collaborer avec des architectes ou des galeries.

@sandrina_rocha

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