Après avoir travaillé de nombreuses années dans l’industrie de la mode, vous avez choisi de vous reconvertir dans la conception de mobilier. Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?
Mon parcours est assez atypique. J’ai commencé à travailler dans l’univers de la mode et du luxe en tant qu’ingénieure textile. Mon rôle était de soutenir la création en collaborant avec des designers. Je faisais en sorte que les pièces textiles soient réalisables industriellement. J’ai effectué ce travail durant huit ans. Cela a été la première page de mon expérience professionnelle. À cette époque, j’étais nourrie spirituellement, mais je me sentais frustrée dans mon envie de créer. Et puis, j’ai eu un déclic et je me suis lancée. Peu importait le résultat – je devais écouter cette créativité qui bouillonnait en moi. Après quelques recherches et réflexions, j’ai pris connaissance du travail d’ébéniste, concepteur de mobilier. J’arrivais à me projeter dans cette pratique à la fois indépendante, introspective et quelque peu solitaire, tant dans sa création que dans son exécution. Cette prise de conscience a été le point de départ de ma reconversion.
Cette reconversion vous a-t-elle permis de laisser parler votre créativité ?
À tout point de vue ! Cela m’a permis d’instaurer un dialogue interne entre la conception et la technique, une sorte de parcours en cercle où j’imagine un objet que je confronte à la réalité. Mon objectif est de transcender les limites techniques et de les ajuster en fonction de ce que je réalise. La plupart de ma projection se fait en 3D. Cela me permet de faire des ajustements plutôt que de passer par un prototypage qui est le plus souvent externalisé. C’est un moyen de garder ma part d’autonomie ; de rester libre, d’une certaine manière.
Selon vous, le processus créatif dans l’industrie de la mode est-il similaire à celui du mobilier ?
Mon approche du mobilier n’est pas académique donc il m’est impossible de faire une comparaison formelle entre ces deux industries. Il est vrai que j’ai beaucoup emprunté à la mode dans ma manière de créer. J’essaie de ne pas me laisser enfermer par les contraintes techniques. Il y a ce rapport à la matière et aux proportions que l’on retrouve dans le mobilier, mais aussi le vêtement et la maroquinerie. Je dirais que le processus créatif dans l’industrie de la mode et du mobilier est similaire avec cette idée du dessin, du croquis, mais aussi la réalité de l’objet que l’on souhaite exprimer en termes d’émotions. Il y a vraiment cette confrontation du réel.
Vous avez installé votre atelier d’ébénisterie à Bruxelles après avoir vécu de longues années à Paris. Pouvez-vous nous expliquer ce choix ?
Paris est l’épicentre de la mode et du luxe en France. Je ne me voyais pas travailler dans une autre ville. Puis mon conjoint a eu une opportunité professionnelle à Bruxelles ; cela faisait sens par rapport à ma reconversion dans le mobilier. Il faut dire que la Belgique possède une très grande culture du design. J’avais envie de changer d’environnement et d’explorer un nouvel endroit. La page parisienne s’est tournée en 2019. Je suis ravie d’avoir installé mon atelier à Bruxelles que je partage avec quatre autres créatifs. Nous avons une pratique différente et cela permet de nourrir créativement. Cela est extrêmement riche au quotidien.
̈ De la matière première au produit fini, je me laisse surprendre par les textures et les motifs qui se révèlent. ̈
Lorsque l’on regarde vos pièces de mobilier, le design brésilien nous vient en tête instinctivement. Quelles sont les designers ou mouvements qui vous nourrissent d’un point de vue créatif ?
En effet, le modernisme brésilien me parle beaucoup. Le designer et architecte José Zanine Caldas me vient justement en tête. Je trouve que son approche est beaucoup plus libre. Culturellement, le design en France doit répondre à certaines étiquettes. Ma pratique de l’ébénisterie m’a justement permis de repousser les limites dans ma manière de créer. Je me suis alors demandé quelle était la pertinence entre l’art et l’artisanat, mais aussi le design. Ces questionnements, déjà présents dans la mode, sont arrivés progressivement dans ma pratique du mobilier. J’essaie de ne pas me cloisonner dans ma pratique.
Que ce soit pour votre assise Racines ou votre bibliothèque basse Itérations 1, vous concevez des pièces de mobilier aux formes géométriques. Pouvez-vous nous expliquer cette volonté ?
J’ai différentes approches. La première est architecturale, comme en témoigne ma bibliothèque basse Itérations 1. Je suis fascinée par le rôle que joue la perspective dans l’architecture. Ma deuxième approche est plus organique. Je me laisse guider par la matière, comme pour les formes de la table basse Rive. Le tabouret Racines, quant à lui, reflète un certain lâcher-prise de ma part. C’est un équilibre entre les formes et la matière. Mes pièces de mobilier éveillent les sens. D’un simple regard, nous pouvons sentir quelle relation nous allons avoir avec elles.
Quelles émotions souhaitez-vous susciter à travers votre mobilier ?
Lorsque je conçois les formes organiques de mes pièces de mobilier, je lâche prise. Ce sont avant tout mes émotions qui me guident. Ayant grandi à Madagascar, entourée d’objets en bois, mon souhait est de retrouver la joie et la plénitude de mes douces années. Lorsque je ressens ces deux émotions, cela veut dire que je suis sur la bonne voie. De la matière première au produit fini, je me laisse surprendre par les textures et les motifs qui se révèlent. Lors de la découpe du bois exhalent des parfums, comme celui du chêne, qui se rapproche du figuier. Ces odeurs me ramènent instantanément en enfance.
Le bois peut se travailler de différentes manières. Pouvez-vous nous parler de votre technique ?
J’utilise une forme d’ébénisterie traditionnelle mais il m’arrive d’expérimenter, comme pour la structure de la bibliothèque Itérations 1. Mon objectif était d’assurer sa solidité tout en conservant l’aspect aérien du plateau suspendu. Dans mon processus de création, je m’appuie sur des méthodes traditionnelles tout en restant ouverte à l’innovation. Je ne m’interdis pas d’aller piocher dans le travail des sculpteurs de pierre ou des ferronniers afin de détourner certaines de leurs pratiques. J’improvise toujours dans mes créations. Dans mon esprit se cache une bibliothèque regroupant différentes techniques artisanales. Il me suffit de fouiller dans mes archives et d’appliquer celle qui me conviendra le mieux. Le bois est une matière vivante et versatile. Elle laisse place à de nombreuses possibilités. C’est une pratique séculaire qui traverse beaucoup de cultures, et cela résonne en moi.
Est-ce qu’il vous arrive de travailler en collaboration avec d’autres artisans ?
Oui, tout à fait. Pour le tabouret Racines, j’ai fait appel à l’atelier Kerouer (Bretagne) pour concevoir les pieds. J’aimerais également m’associer à ma sœur Landy Rakoto qui est céramiste. La question de la collaboration est quelque chose qui me nourrit énormément.
Le verre, le métal et la céramique sont des matières que vous chérissez. Envisagez-vous de les utiliser prochainement dans la conception de votre mobilier ?
Je cherche à concevoir des objets qui allient équilibre et légèreté. La résistance du bois est parfois contraignante ; c’est pourquoi je m’intéresse également aux propriétés du métal. Aujourd’hui, je me focalise sur le travail du bois car je n’ai pas encore exploré tout son potentiel. Cependant, j’envisage de créer des objets avec d’autres matières à l’avenir.
De nouvelles pièces de mobilier en préparation ?
Je suis très heureuse de mes premières créations ; cependant, j’aimerais peaufiner la bibliothèque Itérations 1, et une nouvelle table devrait voir le jour. Je travaille également sur une série d’objets autour du motif qui sera dévoilée prochainement.
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Sélection à retrouver dans le HOME Magazine n°113 (septembre – octobre 2024), disponible en kiosque
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