Les nouvelles boulangeries

Habités par leur passion pour le bon pain, une nouvelle génération de passionnés redonne à l’art de la boulangerie un second souffle.

Par Pauline Blanchard

Gorgé de chimie, nourri au gluten, blanchi et raffiné, vidé de ses attraits nutritifs : le pain, malgré son image d’icône française, a subi depuis l’après-guerre une industrialisation croissante qui ne cesse de lui attacher la réputation mal fondée d’aliment délétère. Si aujourd’hui l’immense majorité des boulangeries classiques font appel aux préparations industrielles, certains résistants, par conviction du bien manger et par amour du fait maison, ont décidé de faire autrement.

Des miches craquantes, nourries au levain maison, fermentées longuement et au goût affirmé, lèvent sous les mains de ces amoureux du pétrin qui accordent au pain l’attention, le temps, les ingrédients de qualité et toute la valeur qu’il mérite. Dans des fournils ouverts, en toute transparence, ces néoboulangers – souvent reconvertis, toujours passionnés – façonnent miches dorées et viennoiseries feuilletées en faisant honneur au difficile métier de boulanger. À Paris et ailleurs, pleins feux sur ces nouveaux spots qui redonnent à la boulange ses lettres de noblesse.

Sain, boulanger cuisinier

Boulanger et tourier de métier, Anthony Courteille s’est échappé en Grande-Bretagne au sein des fournils de palaces, puis est revenu à Paris comme chef à la tête de son propre restaurant « Matières à », avant de replonger dans la farine. Sa philosophie : « Remettre le pain au centre de la table », et en proposer une version au levain bien meilleure pour la santé, pétrie à la main. Nourris des farines paysannes locales et biologiques des Moulins Bourgeois, d’œufs plein air, de beurre de tourage bio, de sucre non raffiné et des fruits de la région, allongés sur l’échoppe ouverte qui appâte les gourmands, ses audacieux pains de cuisinier – tapenade et pignons de pin, courgette, chèvre frais et citron beldi, ou encore ail noir et noisettes – varient selon les délices du moment et les humeurs du boulanger. Sans oublier la spécialité de la maison, le Saint-Martin, croûte craquante, mie aérée à l’acidité bien balancée et aux accents miellés.

Côté sucré, le chausson aux pommes – croûte de sucre, feuilletage craquant et pommes caramélisées – fait déjà se déplacer les foules tandis que le roulé à la poudre de prunes séchées du Japon et les miquettes, diaboliques inventions à base de pâte à croissant fourrée de toppings en accord avec les saisons, se démarquent des viennoiseries de ses voisins parisiens. À se damner !

Sain boulangerie, 15 rue Marie et Louise, 10e arrondissement, Paris.

@sain_boulangerie

Circus, numéro maîtrisé

Après le coffee shop Fragments et le bar à cocktails Cravan, Youssef Louanjli et son équipe se sont installés entre les pavés de la rue Galande, à deux pas des tours de Notre-Dame – quartier en mal de pain artisanal. « À Fragments, nous n’arrivions pas à trouver un bon pain au levain à des prix raisonnables », explique Élie Obeid, membre de la team. Germe alors l’idée de façonner la matière première des petits déjeuners de la maison. Depuis novembre 2018 – après cinq mois de tests intensifs –, sur le comptoir minimaliste de ce local brut et dans son jus, se pressent d’iconiques cinnamon buns – ces brioches à la cannelle d’inspiration scandinave, généreux spécimens du genre, moelleux à l’intérieur, craquants à l’extérieur – sortant chaudes de chaque nouvelle fournée cuite au fil des heures, pains au levain poussés entre 24 et 36 heures, tartes rustiques aux pêches, pommes ou mirabelles selon la saison, accompagnés par des pitas fraîchement garnis le midi et des pizzas cuites au feu de bois le soir.

Du levain décliné du petit matin au soir, avec la crème de la crème des ingrédients – farines franciliennes et italiennes biologiques de blé ancien, beurre normand, fruits et légumes sourcés par Terroir d’Avenir, lait végétal fait maison et café de spécialité Hexagone – pour des prix au diapason. Une offre réduite et raisonnée, « afin de maîtriser parfaitement ce que l’on propose », une équipe de boulangers internationaux – Morgane, Dan, Patrick, Francesco –, qui pétrissent et roulent les brioches en direct dans le fournil ouvert pour des pains à l’équilibre parfait et des viennoiseries au goût d’enfance. Prochaine étape que guetteront avidement les foodistas de la rive gauche (et les autres) : les croissants et les pains au chocolat façonnés par la maison.

Circus Bakery, 63 rue Galande, 5e arrondissement, Paris.

@circusbakeryparis

Le Local, boulangerie engagée

Après une reconversion et un tour de France et d’Europe, Élodie de Oliveira et son associé Romain Niedergang ont fait le pari culotté d’installer une boulangerie nouvelle génération dans la petite ville normande de Fécamp. Passionnée depuis des années par le travail du pain et de la viennoiserie, Élodie s’est reconvertie et, forte du bien-fondé et de la sincérité de sa démarche, a retroussé ses manches enfarinées pour proposer une gamme de pains 100 % levain naturel pétris à la main, fermentés 48 heures, qui se conservent plusieurs jours, complétée par des brioches parfumées au fil des saisons. Des produits biologiques locaux de qualité – lait Brin d’herbe, fruits de Jumièges, œufs de Guillaume Tasserie, farines des Moulins Bourgeois – pour des recettes généreuses qui changent chaque semaine : brioches feuilletées et tourtes de seigle, pains au sarrasin, à la purée de courge, au romarin et au miel, au khorazan et aux abricots.

Un sourcing local – pas d’épices, pas de chocolat – porté par une démarche engagée et durable, respectueuse de la nature. « C’est presque un acte politique, qui porte des valeurs écologiques et de santé », revendique Élodie. Dans la petite boulangerie intimiste ouverte du jeudi au dimanche se succèdent retraités, jeunes parents et Parisiens en week-end. Un dialogue authentique s’installe autour « du travail du vivant », où approche humaine et chaleureuse se conjugue avec boulange de qualité, en petites quantités, et valorisation du terroir exemplaire.

Le Local, 29 rue André Paul Leroux, Fécamp.

@elo.dans.la.farine

Crédit photos : Élodie de Oliveira

Atelier P1

Dans les veines de Julien Cantenot coule la passion du pain et des bons produits. Avec des grands-pères directeurs de moulin et une éducation mitonnée aux produits biologiques, Julien s’est d’abord essayé à la gestion de restaurants avant de glisser les mains dans le pétrin. Un passage par l’École Ferrandi et une formation en levain à l’École internationale de boulangerie plus tard, Julien décide de proposer des ateliers de fabrication de pain artisanal dans la cuisine de son petit appartement à Montmartre. Une transmission qu’il place au cœur de son projet lorsqu’il décide d’ouvrir à l’été 2019 dans le quartier Atelier P1, sa propre boulangerie. Inspiré par les échoppes londoniennes et new-yorkaises, Julien invente un lieu hybride, entièrement ouvert, qui conjugue espace de fabrication, atelier, boutique et coin repas. Côté sourcing, du 100 % bio, des farines non raffinées et locales choisies chez Gilles Matignon, des fruits, des légumes et du lait chez Terroirs D’avenir, des graines et fruits secs signés Keramis et du café torréfié par Esperanza.

Résultat, des pains à la mie aérée et nourrissante, comme le Cui-Cui, mélange de cinq graines, courge et tournesol, des viennoiseries dorées et galbées – mention spéciale pour le roulé cannelle aux noisettes torréfiées – et des tartes salées, dont celle aux tomates – pâte rustique à la farine semi-complète, huile olive, tomates rôties parsemées de pistou – inspirée au plus près de la recette de sa mère. Et avec toujours la transmission au cœur, puisque Julien et son équipe organisent chaque semaine des ateliers de fabrication de pain au levain. Un lieu de partage où le bon et le bien fait ne font qu’un.

Atelier P1, 157 rue Marcadet, 18e arrondissement, Paris.

@atelierp1

Mamiche, boulangerie de quartier

Lorsqu’elles se rencontrent via leurs jobs dans le marketing, Victoria Effantin et Cécile Khayat se découvrent très vite un amour commun pour les bonnes adresses et la nourriture. Leur vient l’idée de s’associer pour monter la boulangerie de leurs rêves. « À l’époque, en 2015, il y avait beaucoup de nouvelles propositions en gastronomie et en pâtisserie, mais en boulangerie, rien de très novateur, racontent-elles. Notre idée, c’était de proposer du 100 % fait maison, avec des viennoiseries que l’on adore toutes les deux. » Deux jeunes femmes dans un milieu misogyne avec chevillée au corps l’envie de casser les codes d’un monde où l’industriel est devenu la norme : Cécile et Victoria ont dû batailler pour ouvrir leur boulangerie artisanale. Après un CAP boulangerie pour Victoria, une formation pâtisserie quelques années avant pour Cécile et des stages dans des boulangeries reconnues, les deux jeunes femmes ouvrent leur affaire de quartier dans le 9e arrondissement de Paris en juillet 2017. Des débuts difficiles avec une team restreinte mais qui séduit vite les habitants du quartier grâce, entre autres, à un travail sans relâche, des délices à la fraîcheur indiscutable et un franc-parler joyeux et décomplexé.

Mamiche, c’est un peu la boulangerie qu’on a envie d’avoir à toute heure de la journée. Du pain au levain mais aussi des créations glorifiées par les gourmands de la capitale, le cookie chocolat fleur de sel, la Babka – brioche au chocolat d’inspiration slave –, le beignet à la confiture ou encore les choux à la vanille. Des produits simples et des recettes au goût de nostalgie, quand se fait sentir l’envie d’un généreux goûter. Côté matières premières, Mamiche se fournit chez Valrhona pour le chocolat, Terroirs d’Avenir pour la charcuterie des sandwichs, et a opté pour du beurre Poitou-Charentes et du café Lomi. Pas de farines biologiques mais sourcées localement chez les Moulins Bourgeois, dans une volonté de proposer des produits du quotidien faits maison mais accessibles à toutes les bourses. Pari réussi, puisque Victoria et Cécile viennent d’ouvrir une seconde adresse dans le 10e arrondissement afin de mieux organiser leur production et répondre à la demande, tandis que désormais près de 35 personnes s’activent entre les deux boulangeries. The Power of Miches !

Mamiche, 45 rue Condorcet, 9arrondissement, et 32 rue du Château d’Eau, 10arrondissement, Paris.

@boulangeriemamiche

Chardon, boulangerie paysanne

C’est après la naissance de leur fils que Géraldine Briquet et Jean-Philippe Merkel, anciens graphistes, ont voulu donner vie à leur propre conception de la boulangerie. « Pour être fiers de ce que l’on fait, raconte Géraldine. Parce que l’on ne va peut-être pas révolutionner le monde avec du pain, mais on peut y contribuer en mettant à l’honneur le patrimoine de ce produit qui est précieux. » Leur idée, devenir à terme paysans boulangers, pour inventer des pains artisanaux et des recettes élaborées avec les produits de leur propre ferme : céréales, fruits et herbes aromatiques. En attendant de trouver l’exploitation de leurs rêves en Bretagne, c’est aux Grands Voisins, incubateur de projets intelligents du 14e arrondissement, que le duo régale les gourmands de leurs créations 100 % maison, dans un minilocal tout de bois vêtu, enveloppé par la nature grimpant aux murs et baigné par la lumière. Au menu, zéro produit intermédiaire, des farines anciennes et biologiques (Fabrice Clerc à Dijon, Alain Basson en Haute-Marne et les Moulins Matignon en Île-de-France) et des ingrédients les plus locaux possible : ni chocolat ni vanille mais des agrumes et amandes d’Italie, du beurre de tourage bio, du fromage blanc du Perche, des fruits et légumes franciliens dénichés chez Au bout du Champ et des herbes aromatiques, anis, romarin, thym et mélisse, cultivées par Gérard Bensoussan dans le Finistère.

Pour des pains au levain qui poussent pendant 24 heures, des biscuits et des petits gâteaux qui se conservent avec, toujours, des variations gourmandes au rythme des saisons. Leurs spécialités déjà demandées quotidiennement : le Grand Voisin, un pain à base de seigle et de blé, les sablés au seigle parfumés à la lavande de Bretagne, les madeleines au basilic ou encore les pizzas tomates et légumes. Et Géraldine de conclure : « La preuve que l’on peut faire de bonnes choses autrement. »

Chardon, cour Robin aux Grands Voisins, 74 avenue Denfert-Rochereau, 14e arrondissement, Paris.

@boulangeriechardon

 

Photographies Anne-Claire Héraud