Les tissages de Justine Gaignault

C’est dans l’écrin fertile des Ateliers de Paris que la jeune designer textile développe ses collections, une alliance de lin et de laine sourcée avec sens pour obtenir un tissage jacquard unique. Home s’est invité entre les bobines et le métier à tisser d’une artiste à suivre.

Par Amandine Grosse – Photographies : Joséphine Daru

Tisser les liens du sens

À quand remonte cette envie de créer ? Chez Justine Gaignault, les balbutiements prennent naissance dans la salle de maquette d’un magazine féminin où travaille son père : « Je passais mes mercredis là-bas. J’ai été séduite par l’idée de partir de rien pour arriver à un résultat visuel rapidement. » Justine se projette alors graphiste. Elle intègre une école mais après quelques mois, l’essentiel manque : « Je n’assouvissais pas mon attrait pour le travail manuel. » À 19 ans, Justine arrête son année d’études et intègre, à la vente, l’enseigne Antik Batik. « J’étais déjà inconsciemment animée par le textile, le travail de la broderie, du tissu. » Au contact de sa responsable, elle découvre l’existence de formations de designer textile et intègre l’année d’après l’Académie royale des beaux-arts de Bruxelles. « C’est là que je suis totalement tombée sous le charme du tissage et que je me suis formée pendant cinq ans. »

 Tous les ingrédients y sont réunis : l’attrait pour les motifs géométriques, l’intérêt pour la technique : « Le tissage se rapproche du code, il faut trouver la mécanique », et l’amour du manuel : « Il y a une approche assez méditative et une satisfaction immédiate à la vue du motif qui apparaît à travers les fils. » En quatrième année des Beaux-Arts, Justine amorce son projet artistique autour du tissage jacquard : « Les professeurs m’ont aidée à faire de mon art un projet entrepreneurial épanouissant. J’ai démarché des entreprises textiles en Belgique, motivée par le désir de travailler avec des fibres locales. »Durant une année, Justine source ses matières auprès de la Confédération du lin et du chanvre européen et du label Made in Town s’attachant à valoriser la laine française en mettant en contact les filateurs locaux. « Grâce à eux, je peux me procurer des bobines de lin et de laine. » Ce travail exigeant et fastidieux est inhérent à l’écoconscience qui anime une nouvelle génération d’artisans. « En produisant du textile, on sait que nous ne sommes pas dans une démarche très écologique, alors on fait tout pour la rendre la plus responsable et sensée possible. »

̈ Il y a une approche assez méditative et une satisfaction immédiate à la vue du motif qui apparaît à travers les fils. ̈

Filer le mariage parfait

Animée par l’envie de travailler sur les jeux de textures, Justine Gaignault ne se lasse pas de l’alliance du lin et de la laine. « Mon approche géométrique a été inspirée par Anni et Josef Albers dont l’art est à la fois intemporel et actuel, même un siècle plus tard. » Justine s’attache à tisser le motif dans le motif pour multiplier les lectures. Reste à préciser la texture. La jeune femme multiplie les tentatives et parcourt les approches : « J’ai commencé par faire flotter les fils de laine sans les tisser, à la manière de vagues en suspens. » Elle obtient alors un textile mais cherche à y trouver une application spécifique pour créer des tapis et des plaids. C’est un petit accident qui va mener la designer textile à trouver la texture qu’elle recherchait : « J’ai glissé par erreur un échantillon à la machine à laver et la laine s’est naturellement rétractée. La panique a rapidement laissé place à une grande satisfaction, j’ai été emballée par cet effet. » En fonction des résultats escomptés, Justine nuance les températures : « Pour des tapis, je veux que la matière soit assez rigide alors je feutre à 90 °C, pour des plaids que je souhaite plus doux et moins denses, je feutre à 60 °C. » Sur son métier à tisser, Justine fait toutes ses recherches via un logiciel de jacquard : « C’est comme un code, je rentre toutes les armures de tissage, je choisis les fils puis j’envoie ce fichier à l’entreprise textile en Belgique. Cela me permet d’avoir des laizes plus grandes. Mon métier à tisser me limite à la largeur d’un coussin. »

̈ Mon approche géométrique a été inspirée par Anni et Josef Albers dont l’art est à la fois intemporel et actuel, même un siècle plus tard. ̈

L’art de faire grandir sa marque

À la suite d’un stage au sein du département de recherche et développement chez Dior, Justine se recentre sur son projet : « Auparavant, j’avais posté quelques photos de mes créations sur Instagram et vendu quelques pièces. J’ai d’abord eu envie de relancer une petite production, puis les choses se sont cadrées. » En effet, il y a deux ans, Justine Gaignault intègre les prestigieux Ateliers de Paris en résidence. C’est dans les anciens locaux de Jean-Paul Gaultier qu’elle développe son artisanat. Ce lieu et ce programme lui permettent de travailler dans la quiétude d’une pièce consacrée à son art tout en profitant de conseils de professionnels et de l’expérience d’autres artisans de sa génération, pour faire grandir sa marque et ses collaborations. « J’aime être dans ma bulle, prendre le temps de créer seule, être sur une autre cadence que l’effervescence générale, dans un espace moins énergivore. Trouver le rythme qui nous convient n’est pas si simple. » Aujourd’hui, à 26 ans, Justine collabore à la marque de prêt-à-porter sur-mesure Bourgine et gère sa marque éponyme, une collection vendue sur Internet et dans une sélection de boutiques. « Des architectes d’intérieur me demandent par ailleurs d’adapter mes pièces sur-mesure en déclinant finitions et tailles. » Ici, pas de stock, tout est fait à la demande. Il y a dans le travail de Justine une cohérence artistique et philosophique qui tisse, au fil de ses inspirations, sa fibre créative. Et notre envie de tout lui commander…

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Article à retrouver dans le HOME Magazine n°109 (janvier-février 2024), disponible en kiosque
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