Bonne adresse : Sauge, l’auberge d’Amandine Chaignot dans le Perche

Après Paris, le Perche. Amandine Chaignot entame un nouveau chapitre en ouvrant Sauge, son auberge percheronne inspirée par la nature. Produits bruts, terroir revendiqué, engagement sincère et sans compromis : ici, on déguste l’instant et le partage se conjugue au présent. Une adresse libre et vivante, à l’image de la cheffe, qui bouscule les codes avec exigence.

Par Justine Villain - Photographies : Émilie Guelpa

Il y a des parcours qui s’inscrivent dans la transmission, se façonnent avec instinct et passion. Celui d’Amandine Chaignot s’ancre dans des souvenirs gustatifs et des gestes appris, très tôt, du bout des doigts. Une pâte à tarte rustique à peine pétrie, une mayonnaise montée alors qu’elle tenait à peine debout sur un tabouret, la blanquette de sa maman qui mijote en cuisine. Des goûts, mais aussi des odeurs imprimées dans sa mémoire, comme celle des framboisiers de la maison de son arrière-grand-mère. « Depuis très jeune, je suis perméable aux sensations », confie la cheffe. Son cheminement professionnel commence en 1998, jour de finale de Coupe du Monde, qui marque également son premier jour en cuisine, à l’école Ferrandi. D’aucuns y verront un bon présage. Cette formation exigeante lui permet d’acquérir de solides bases et lui ouvre les portes de ses toutes premières cuisines.

Puis vient un tournant dans son apprentissage, sa participation en tant que commis au Bocuse d’Or en 2001. Un moment clé qu’Amandine considère comme un point de bascule, celui qui dessine une ambition : « Lorsque vous recevez les félicitations de Joël Robuchon accompagnées d’une tape sur l’épaule et d’un “tu as bien travaillé”, cela change vos perspectives », se remémore la cheffe. Marquée par ses mentors – Mark Singer à la Maison de l’Aubrac, Bernard Leprince chez Prunier –, elle affine son style. « Ma cuisine a des dénominateurs communs à Paris, dans le Perche et partout ailleurs, c’est une simplicité et une lisibilité dans mes assiettes. » À Paris, sa cuisine fait déjà l’unanimité. Chez Pouliche (dans le Xe arrondissement parisien) et au Café de Luce (dans le XVIIIe), deux adresses ouvertes avec ses associés, où la cheffe impose sa patte. Elle signe aussi la carte de Nepita (dans le VIIIe), du restaurant de l’hôtel Florida, ainsi que de Rosy et Maria, l’élégante table de la maison de beauté Carita (VIIIe).

Alors forcément, la cadence est intense. Depuis quelques années, c’est dans le Perche qu’elle aime se ressourcer, elle y a même posé ses valises. C’est donc naturellement là-bas que mûrit l’envie d’un lieu à elle, à son image. Sans oublier l’évidence de la nature environnante, du bocage, des herbes sauvages cueillies l’après-midi pour être servies le soir. Sauge naît de ce besoin de (re)connexion. En quête d’un « tournant personnel et professionnel », la cheffe inaugure son auberge percheronne.

Aventure percheronne

En 2022, Amandine entreprend la rénovation intégrale du Jazz Café, dans la petite ville de Réveillon, aidée par son frère Camille Chaignot, architecte. Les murs appartiennent à la mairie et tout le village participe aux travaux. La bâtisse en pierres de 200 mètres carrés reprend vie et le 5 octobre 2024, Sauge, le bistrot, ouvre ses portes. Quarante couverts, une cuisine sans menu – tout est fait à la voix – et des plats qui changent chaque semaine. Seule la côte de bœuf normande maturée, tranchée à la demande et servie avec une sauce au poivre déglacée au calvados, demeure indéboulonnable. Quelques semaines plus tard, fin novembre, le restaurant gastronomique est inauguré à son tour.

En retrait de la salle, on y trouve de petites tables nappées pour une vingtaine de couverts. Les convives signent pour une expérience culinaire où chaque plat raconte un moment. Ici, on ne déguste pas un plat de carottes, on suit un chemin, on explore une sensation. À l’instar de celui qui incarne déjà l’âme de Sauge, « En chemin, montagne à la main » : fines tranches de carottes caramélisées, émulsion de carottes jaunes à la reine-des-prés, pulpe d’églantier et baies rouges. Un plat manifeste, où se mêlent nature et savoir-faire.

Un projet engagé

Sauge est aussi une aventure collective, portée par un réseau de producteurs engagés. Les légumes bio de Tom Rial d’Une Ferme du Perche, les volailles de la Percherie, les bières de la Vertueuse, les fromages des Chèvres Brasseuses, les cidres et calvados de la Maison Ferré…

Une liste non exhaustive qui dessine une véritable cartographie du terroir. « Il faut savoir d’où viennent les produits, qui les fait, comment ils sont élevés, cultivés », clame Amandine avant de poursuivre, sur sa cuisine : « Quand on travaille de belles matières, de beaux produits, on n’a pas envie de les dénaturer ». Même exigence côté service, même si certains aspects échappent au contrôle de la restauratrice et de son équipe. « Un restaurant, ce n’est pas une application de livraison. Une réservation s’honore : en arrivant à l’heure, on respecte l’expérience », insiste la cheffe. Elle appelle ainsi à une prise de conscience collective face aux réalités du métier, souvent mises à mal par la pression des réseaux sociaux et les no-shows. Amandine envisage même d’interpeller les professionnels du secteur en rédigeant une lettre ouverte qui s’accompagnerait d’un code de bonne conduite pour les clients. Revenons dans le Perche. À peine ouvert, Sauge n’est pas figé. Un jardin prend forme, à 50 mètres juste derrière l’église. Un clos de murs qui accueillera bientôt des herbes aromatiques et un potager. Un projet de chambres d’hôtes germe aussi, à la recherche de la maison idéale dans le village. Le lieu évolue, porté par une communauté bienveillante. « J’ai vraiment eu le sentiment d’avoir été accueillie par ce village et cette communauté. Dès les premiers jours, on m’a offert des fleurs, du calvados et même des torchons brodés à mon nom. » Des attentions qui comptent et, plus encore, l’entraide. Sauge est plus qu’un restaurant : c’est un ancrage. Une cuisine qui raconte les saisons, des assiettes qui dialoguent avec le territoire et un espace où l’authenticité reprend ses droits.

sauge-aubergepercheronne.fr

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