Ton parcours t’a menée aux quatre coins du monde. Peux-tu nous raconter cela ?
Je suis originaire de Goa, dans le sud- ouest de l’Inde, et je crois que mes rêves de voyage ont pris racine dans l’enfance. Mon père est né au Kenya, à Nairobi, et ma mère vient de Pune, mais elle a vécu à l’île Maurice et à Hong Kong. Les entendre nous raconter leurs souvenirs et anecdotes dans différents pays m’a beaucoup inspirée. Après le lycée, j’ai obtenu une bourse pour faire des études en Human Ecology dans une université située sur une île du Maine, aux États-Unis. Là-bas, entourée de paysages si nouveaux pour moi, mais aussi d’amis qui venaient du monde entier, j’ai commencé à réfléchir aux liens qui se tissent entre nous, la nature et la nourriture. Ensuite, je suis rentrée en Inde, à Bombay, où j’ai rencontré mon compagnon, Jimmy.


De là, nous avons rejoint l’île de Lesbos pour créer un jardin partagé en permaculture avec des réfugiés. Et en 2018, nous sommes arrivés à Marseille. Vibrante et près de la mer, cette ville nous rappelait Bombay ! Même si j’ai toujours aimé cuisiner, c’est en arrivant ici que j’ai travaillé pour la première fois en cuisine – auprès notamment d’Ella Aflalo – avant de développer en autodidacte mon activité de cheffe itinérante. Puis, en cuisinant lors de résidences, j’ai continué d’explorer et de voyager : en Italie à la Villa Médicis, en Indonésie, en Grèce, mais aussi à Paris, Arles, etc.
Comment décrirais-tu ta cuisine et que souhaites-tu transmettre avec elle ?
Ma cuisine est une recherche profonde sur les liens entre d’où je viens, mon héritage culinaire indien et l’endroit où je me trouve à l’instant précis. Je cuisine pour comprendre ma place dans l’écosystème et partager tout ce que j’apprécie de la vie et de la nature. Alors que la norme actuelle est de vivre dans un état d’urgence climatique et que cette catastrophe est presque banalisée, je trouve essentiel de témoigner davantage notre gratitude pour la nature. Je cuisine surtout avec des produits locaux et durables afin de valoriser les personnes qui produisent les légumes ou les épices. Grâce à la cuisine, j’exprime ma sensibilité et mon empathie pour l’autre, que cela soit un poisson, une plante ou ma voisine.
À l’automne 2024, tu as publié aux éditions Ulmer Là où le riz sent les fleurs de manguier : mes recettes familiales du sud-ouest de l’Inde. Peux-tu nous parler de ce livre ?
À la fois carnet de recettes et de voyage ente les villes de Bangalore, Goa et Pune, mon livre est une introspection à travers l’Inde du Sud-Ouest et les saveurs de mon enfance. Avec lui, je me suis reconnectée à moi-même, à mon pays et aux nuances culturelles qui font que je me sens indienne (comme le fait qu’en Inde, c’est par le biais de la nourriture que l’on accueille naturellement les gens chez soi, même ceux que l’on ne connaît pas). Étant issue d’une famille venant de régions et de religions diffé- rentes (mon père est chrétien, ma mère hindoue), je crois que le plus important pour moi avec cet ouvrage était de réclamer une identité indienne, tout en balayant de nombreux stéréotypes dans lesquels je ne me reconnais pas.
Quelles sont les recettes symboliques que tu as reçues de ta mère et de tes grands-mères et que l’on peut trouver dans le livre ?
Elles le sont toutes, mais je dirais la recette de bharliwangi, des aubergines acidulées farcies aux cacahuètes ; celle de l’aamti, un dhal sucré-salé typique de Pune ; ou encore le sorak, un curry épais au lait de coco.
Avec ce recueil de recettes, tu rends hommage à la cuisine du sud-ouest de l’Inde ; qu’est ce qui la caractérise ?
Surtout la fraîcheur, l’acidité et l’utilisation de nombreuses variétés de riz et de millet. On y trouve aussi beaucoup de tamarin et de noix de coco.


Tu as beaucoup voyagé ; pourrais- tu confier un souvenir de cuisine marquant ?
J’en ai tellement, je ne fais que manger lors de mes voyages : apprendre de nouveaux goûts est une vraie clé pour mon travail. Mais si je ne devais évoquer qu’un souvenir, ça serait à Hanoï avec ma mère quand, pour notre premier repas, nous avons dégusté des bánh cuốn, des galettes très délicates à base de farine de riz. Quelle chance de voyager avec elle au Viêt Nam et de la voir goûter à cette cuisine !
Quelle est ta nourriture quotidienne ?
Elle est très végétale et évolue avec les saisons. Je cuisine beaucoup de légumes et j’aime valoriser tout ce que j’utilise pour ne pas gâcher et extraire un maximum de nutriments. L’hiver, je consomme donc souvent des bouillons à base d’épluchures de légumes et d’épices qui réchauffent (clous de girofle, gingembre…). L’été, au contraire, j’équilibre la température de mon corps avec des salades et des fruits. J’aime aussi les choses très gourmandes comme les msemen, des crêpes feuilletées que l’on déguste dans le quartier de Noailles à Marseille.

Tu vis près de la Méditerranée ; quel est ton lien à l’eau ?
Née en bord de mer, j’ai eu la chance de nager très jeune, ce qui est rare en Inde. L’eau a toujours été très inspirante pour moi ; je pratique la plongée libre, et avec mon compagnon, nous naviguons souvent en voilier. Être dans l’immensité de la mer, si puissante et en même temps si fragile, me rappelle ma place dans ce monde et me rend plus consciente de mes actions. C’est la base de notre vie sur terre ; il me semble primordial de prendre soin de cet élément.
As-tu de bonnes adresses à partager ?
Oui ! À Marseille : LABC, Apotek, Limmat, Provisions et Lorène Millet. À Paris : Aachchi pour la meilleure cuisine sud-asiatique.



