Liberté retrouvée
À peine les marches de La Verrière franchies, le triptyque monumental de l’artiste Eva Nielsen s’impose immédiatement devant les visiteurs. Trois œuvres picturales créées sur mesure pour le vaste mur blanc de l’espace. « Le point de départ résidait dans ce désir de créer un espace frontal, presque palpable, où l’on entre physiquement, dit l’artiste. Le triptyque — une œuvre entièrement réalisée en 2025 — offre différentes percées visuelles, un jeu d’immersions. Il existe une porosité entre les toiles, une continuité dans les palettes, les textures et les respirations. » Comme le souligne Joël Riff, la peinture de Nielsen offre une échappatoire, un subtil détour qui nous transporte dans un ailleurs où l’air semble plus pur. À l’image de l’œuvre Rift (2025), qui n’est pas s’en rappeler les paysages désertiques de l’une des figures du modernisme : la peintre américaine Georgia O’keeffe (1887–1986).

Eva Nielsen aime à dire qu’elle peint au sol, une manière de s’immerger pleinement dans les peintures qu’elle compose. Chaque œuvre est pensée comme un territoire que l’artiste franchit avec tout son être. À la lisière du réel et de l’irréel, les peintures de Nielsen invitent chacun.e à y projeter son propre regard, porté par les multiples strates qui composent son art. « Cette exposition dévoile des motifs récurrents : la traversée, la percée, un horizon qui semble sans cesse s’échapper. J’ai d’abord perçu ces thèmes à travers la périphérie, en train, où le rythme des paysages défilant ouvre un espace propice à l’imaginaire. »
L’atelier d’Eva Nielsen dépasse sa simple fonction. Selon l’artiste, c’est une matière en soi. Et cela se ressent dans les trois imposantes peintures présentées au sein de la Verrière : « Chaque grand format exposé ici correspond aux dimensions maximales que mon atelier peut accueillir. Voir ces œuvres prendre place dans un lieu aussi vaste m’émeut profondément — comme si l’espace d’exposition devenait le prolongement naturel de mon atelier. »
Mémoire de forme
Afin de prolonger l’horizontalité souhaitée par le curateur Joël Riff, les assises du designer Arnaud Eubelen s’intègrent librement dans l’espace, sans suivre d’ordre ou de hiérarchie. Elles s’offrent simplement aux visiteurs, prêtes à être contemplées et utilisées. La disposition rectiligne des chaises réalisées au fil de dix années de travail suggère, à elle seule, que la Verrière s’est métamorphosée en un vaste toit ouvert sur les rues de Bruxelles. Les matériaux choisis pour concevoir le Waiter Bench (2019) ou encore Snake Tale (2017) proviennent directement des rues de Molenbeek, aux alentours de l’atelier d’Eubelen. Ces fragments de la ville composent une esthétique brute, où chaque élément conserve la mémoire silencieuse de sa vie passée.


Si les œuvres de la peintre et du designer dialoguent ici, ce n’est pas un hasard : leurs pratiques respectives donnent forme à ces non-lieux souvent ignorés, mais qui, silencieusement, réaffirment leur présence dans nos paysages. Comme le dit l’agence Etablissement dans son manifeste écrit spécialement pour l’exposition de la Verrière : « Il n’est effectivement plus question de penser la ville avant le paysage, les pleins avant les vides, la valeur économique avant la valeur écologique, la beauté avant la nécessité. Il ne s’agit plus de dompter, d’imposer, de composer mais bien de recomposer, avec humilité, un monde adapté à la diversité du vivant. »


À la fois discrète et forte, la sculpture de l’artiste allemande Charlotte Posenenske (1930-1985) s’inscrit dans cette continuité, installée juste à l’entrée de la galerie, sur une trappe. Prêté par le FRAC Lorraine, ce totem en acier galvanisé – Vierkantrohre Serie D (1967-2020) – a été réalisée à partir d’un protocole imaginé par l’artiste juste avant qu’elle ne mette un terme définitif à sa pratique artistique, en 1968.
Trois artistes, trois installations, mais une même volonté : déconstruire la standardisation.
L’exposition « Aster » à la Verrière, jusqu’au 26 juillet 2025. Boulevard de Waterloo 50, Bruxelles. Fondationdentreprisehermes.org/fr