Pouvez-vous nous raconter l’histoire de Coseincorso ? Marwann Frikach : À la suite du premier confinement, nous avons décidé de quitter la galerie d’art contemporain Clearing à Bruxelles, où nous travaillions depuis plusieurs années, pour nous consacrer à des projets plus personnels. Bien que nous partagions tous les deux une profonde passion pour l’art, c’est notre intérêt mutuel pour l’histoire qui a déclenché la création de Coseincorso.


Nous ne sommes pas designers de formation ; Marzia est architecte et j’ai toujours été impliqué dans le monde de l’art. Au lieu de nous limiter à la création d’objets, nous voulions créer un studio réunissant un large éventail de savoir- faire traditionnels tout en gardant une approche artistique. En 2021, nous avons imaginé Les âmes simples, une première collection alliant artisanat et héritage.
Votre première collection de mobilier Les âmes simples s’inspire du béguinage de Bruges, un monument historique classé au patrimoine mondial de l’Unesco. Comment vous est venu cet intérêt ?
Marzia Cerio : Étant italienne et Marwann franco-marocain, il nous semblait essentiel de raconter nos origines. Nous avons toujours pensé que les objets avaient une signification profonde dans l’histoire de l’humanité – ils ne sont pas simplement fonctionnels, mais incarnent des histoires, des cultures et des identités. En visitant plusieurs béguinages de Belgique, notamment celui de Bruges, nous avons commencé à nous intéresser à l’histoire de celles qui vivaient à l’intérieur, les béguines. En y réfléchissant, le concept était assez futuriste pour l’époque car il s’agissait de femmes qui vivaient de manière indépendante, isolées des autres, et qui subvenaient entièrement à leurs besoins par le biais du travail manuel. Cette histoire nous a beaucoup inspirés.


Avant la réalisation de vos pièces en atelier, vous dessinez à quatre mains de nombreuses esquisses en vous inspirant de photographies prises lors de vos voyages ou d’images trouvées dans des livres d’histoire. Pouvez-vous nous en parler ?
Marzia Cerio : Avant la réalisation de notre première collection, nous avons acheté un livre écrit par la femme de lettres Marguerite Porete, considérée comme une sorcière au Moyen Âge car elle parlait de son amour de Dieu tout en étant une personne laïque. C’est elle qui a lancé le mouvement du béguinage. Inspirés par cette histoire, nous avons commencé à réaliser des dessins grâce aux images capturées lors de nos visites dans les béguinages flamands. Dès le premier croquis, nous sommes tombés d’accord. L’objectif était de créer une collection faisant écho à la chambre de béguine, représentant une femme seule face à sa spiriualité.
Marwann Frikach : Nous commençons chacune de nos recherches par la photographie. La série Memory en est témoin. Nous ne sommes pas photographes, mais nous prenons un appareil photo argentique lors de tous nos voyages. L’objectif est de capturer des détails qui nous inspirent sur le moment.
Pouvons-nous dire que votre design est politique ?
Marwann Frikach : L’inspiration est toujours liée à la tradition. Si la tradition ne se perpétue pas, c’est à cause de la pensée politique justement, comme nous l’avons expliqué précédemment avec l’histoire des béguines qui étaient intégrées dans les villes mais refusées dans les églises. Au Moyen Âge, le fait de voir aussi des communautés de femmes indépendantes dans des villes autosuffisantes abordait une certaine question de féminisme.


À l’époque, ce sujet n’était pas abordé, mais le fait que nous y revenons aujourd’hui a une signification politique, assurément. Marzia Cerio : Je pense que le fil conducteur de nos créations est l’indépendance de la main. Lorsque l’on est capable de réaliser quelque chose par soi-même, on est libre, d’une certaine manière. Dans toutes nos collections, nous expliquons comment le savoir-faire a façonné une région économiquement et politiquement.
Votre deuxième collection, Apothecary, est un hommage au petit village de Castelli en Italie, l’un des plus grands producteurs de céramique et de jarres à pharmacie. Comment avez-vous retranscrit son histoire à travers les pièces qui la composent ? Marzia Cerio : Au début des années 1500, deux familles importantes de la région ont demandé aux artisans du village de Castelli de concevoir un trousseau de mariage. Il se composait de jarres d’apothicaire, dont certaines étaient décorées d’une tête de dragon.


Inspirés par cette histoire ancestrale, nous avons demandé aux artisans de Castelli s’ils possédaient toujours le moule ayant servi à la réalisation de ces fameuses jarres. C’était le cas. Pour notre modèle The Drago Nero, nous avons incorporé plusieurs têtes de dragon afin d’améliorer sa fonctionnalité. Chaque tête est dotée d’un trou soigneusement conçu pour permettre à l’eau de s’écouler à travers elle. C’est une sculpture manifeste, en quelque sorte.
Les termes “contemporain” et “fait main” véhiculent-ils un message plus fort et plus significatif lorsqu’ils sont combinés ?
Marwann Frikach : Chacune de nos collections cherche à honorer les histoires du passé tout en adoptant les technologies modernes dans leurs processus de conception. Nous nous efforçons de capturer l’essence de l’artisanat d’antan, en l’associant de manière transparente aux techniques contemporaines.
Marzia Cerio : Je pense que le message est simple. La clé pour aller de l’avant est ancrée dans le passé. Il s’agit de redécouvrir ce qui a fonctionné auparavant et de le réinterpréter dans un contexte moderne.


La collaboration avec des artisans qualifiés joue un rôle crucial dans votre processus de création. Quels sont les critères ou les qualités que vous recherchez pour sélectionner les artisans avec lesquels vous travaillez ?
Marzia Cerio : Tout est une histoire de feeling et de compréhension. Pour la réalisation des pièces de notre première collection, nous avions collaboré avec de jeunes artistes qui ont immédiatement compris ce que nous voulions. Pour Fragma, notre dernière collection de mobilier et d’objets, nous avons collaboré avec un artisan local qui a une imagination incroyable et qui est extrêmement doué manuellement. Il a notamment permis la réalisation du miroir The Truth et de l’étagère The Front.
Marwann Frikach : Nos travaux couvrent différentes générations d’artisans et si certaines collaborations sont instantanées, d’autres demandent plus d’efforts. C’est cette diversité d’approche qui nous permet de grandir et d’évoluer, tant dans nos créations que dans nos collections.


Avez-vous des projets en cours ?
Marzia Cerio : Notre quatrième collection s’inspire de l’histoire du lac Fucin. Il y a 300 ans, il était le troisième plus grand lac d’Italie, jusqu’à ce qu’il soit asséché pour faire place à des champs viticoles. L’émergence soudaine d’un vaste espace vide a modifié à jamais le paysage. Cette histoire m’a profondément touchée, d’autant plus que je vis ici et que je n’en avais pas connaissance. En guise d’hommage, nous imaginons de nouvelles pièces afin de rendre hommage à son histoire.

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