Artisanat : dans l’atelier de Margaux Carel, céramiste à Lisbonne

Dans les sculptures et les coquilles de Margaux Carel, il y a son héritage et ses états d’âme, son enfance et sa quête de sens. Installée en famille à Lisbonne, l’artiste française est venue à la terre comme une évidence et façonne avec poésie les émotions qui la traversent.

Par Amandine Grosse – Photographies : Stanislas Liban

New York-Lisbonne

11 heures sous le ciel voilé de Lisbonne ; on pousse la porte du Studio Mirante installé dans le quartier Alfama. Deux enfants sont concentrés autour d’une grande table en bois, le dos courbé sur leurs créations : « J’aime que mes fils s’initient sans contrainte à faire, créer, toucher la terre et imaginer à leur manière. Ils m’accompagnent parfois le weekend ou me rejoignent après l’école. » Derrière les mots, les gestes et le sourire de Margaux Carel, on perçoit la douceur et la quête de liberté qui traversent la sculptrice. Avant de trouver l’art et la manière de tout exprimer, Margaux est passée par plusieurs métiers.

C’est dans ce lieu simple et organique partagé avec son amie Clotilde de Kersauson que les deux céramistes évoluent depuis trois ans. « Avec mon mari et les enfants, nous vivions à New York depuis plusieurs années ; mais en devenant mère, j’ai ressenti de plus en plus fort le besoin d’offrir une meilleure qualité de vie à mes enfants, plus proche de la nature et moins matérialiste. » Ce ne sera pas la France, son pays d’origine, ni celui de son mari, l’Angleterre, mais le charme fou et la douceur constante du Portugal. « Mon mari adore surfer et j’ai toujours été inspirée par les couleurs de Lisbonne, les carreaux et la céramique. Je suis aussi fan de cette lumière assez semblable à celle de New York. Il peut faire 8 degrés, elle reste très présente. »

La mentalité et la philosophie des habitants ont aussi joué un rôle essentiel dans la nouvelle vie de Margaux Carel. « Ici, les gens aiment vraiment les enfants, les respectent et les accueillent sans problème. » Dans cette ville bercée par l’artisanat et l’art de bien faire, Margaux découvre le travail de la terre et les techniques de la céramique. « Après des années au service photo d’un grand magazine et un job de directrice artistique, j’ai travaillé dans la déco à New York, au contact d’artisans géniaux. Être sensibilisée au fait main m’a insufflé l’envie de confectionner, de créer. »

L’héritage familial de Margaux participe aussi à cet élan : « Mon grand- père a fondé la maison de souliers Carel après la guerre, mon père l’a rejoint et a dessiné tous les modèles iconiques que l’on connaît aujourd’hui. Il adorait chiner des meubles et des œuvres de jeunes artistes dans les puces et les brocantes… Je sentais que mon bien-être pouvait s’épanouir dans l’art et l’artisanat. » Avant de quitter New York, Margaux suit un premier workshop de céramique. En s’installant à Lisbonne, elle ne trouve pas de cours de tour adaptés à ses horaires de mère, mais déniche un atelier de modelage à la main. Le coup de cœur est immédiat.

Trouver sa nature

Durant les périodes rythmées par le Covid, la céramique devient un hobby, une échappatoire. Margaux s’initie aux bases de la céramique mais ne cherche pas à confectionner des tasses ou des assiettes. Ses désirs portent ailleurs, guidés par une dynamique plus artistique, entre l’artisanat et l’émotion. « À ce moment-là, je n’avais pas l’idée de professionnaliser cette activité, puis très vite les gens m’ont complimentée et ont souhaité m’acheter des pièces. » Elle débute avec sa lampe ornée de feuilles. « J’étais très inspirée par la céramiste new-yorkaise Simone Bodmer-Turner. C’est elle qui m’a donné envie de faire de la sculpture. J’ai imaginé des formes dans lesquelles chacun pouvait se projeter. Elles sont toutes parties ! En réalité, je n’ai pas eu le temps de me former. Mon travail se forge en essayant, en me trompant, en détestant le résultat et en recommençant. Cela fait partie du processus. » Dans l’esprit de Margaux navigue un va-et- vient entre ce que l’on attend d’elle et ce qu’elle souhaite explorer, entre ce qui plaît et ce qui l’anime. Comme de nombreux artistes, elle partage ses doutes, sa quête de légitimité et son désir absolu de ne pas perdre de vue ce pour quoi elle a choisi cette voie. Dans la bibliothèque faite sur-mesure lors de l’installation des deux artistes, Margaux dépose les pièces qui ont compté et aussi celles qu’elle aime moins, mais qui resteront tout en haut comme la trace de ses cheminements.

« La contrainte, c’est ce qui me motive le plus mais si je suis exigeante avec moi-même, je ne suis cependant pas perfectionniste dans le résultat. J’aime les irrégularités, qu’on y devine le vivant. » Rondes, féminines, sensuelles, maternelles, libres et organiques… nos ressentis face à ses sculptures font-ils écho à ses intentions ? « J’aime beaucoup quand les gens me partagent ce qu’ils perçoivent. À mes yeux, il y a de la nature, de la douceur, de l’enfance, et ce qui me fait toujours vibrer : les paysages écorchés, les contrastes de matières. » À cela s’ajoute la temporalité des états d’âme de l’artiste. « Une œuvre n’est pas la même en fonction de l’état dans lequel on se trouve au moment de la faire. Les pièces que j’aime le moins sont celles pour lesquelles je me suis mis trop de pression, celles qui ne sont pas venues instinctivement. » Copier, recopier, faire à la demande n’est pas dans l’ADN de Margaux, qui se laisse guider par l’émotion. Les coquilles, pièces signatures de l’artiste, oscillent quant à elles entre décoration (elles existent aussi en luminaires) et expression de l’enfance. Touchantes et poétiques, elles trouvent leur origine dans les coquilles en porcelaine chinées par son père qui trônaient dans la maison familiale de son enfance.

Lisbonne, terre d’expression

Sous nos yeux, Margaux débute une coquille ; ses doigts semblent composer l’objet en connaissant les notes mais en ignorant vers quelle partition l’œuvre va la mener : « La terre travaille toute seule. J’affine les bordures jusqu’à ce que la matière me permette de le faire. Juste avant le séchage, je continue de les façonner. Je travaille sur les fissures tout au long du processus. J’aime les pièces organiques, même quand j’émaille. » La plasticité de la terre anime l’artiste et l’aide à renouer avec l’ici et le maintenant. « Pouvoir commencer, arrêter et reprendre une sculpture au fil de mes envies, que rien ne soit définitif avec la terre, me réconcilie avec mes conflits intérieurs.

Quand on trouve sa place, l’essentiel s’apaise. » L’art comme thérapie mais aussi comme famille, celle d’artistes natifs du Portugal ou installés comme elle par amour pour le pays. Dans leur studio, Margaux et Clotilde accueillent des artistes et artisans qui travaillent les émotions et la matière (Marisa Ferra, Carla R. Santos, Gudila Woodcraft, Antje Weber, Fantasque…). « Ce n’est pas facile de dénicher ces artistes là. Il y a peu de lieux où trouver de la céramique artisanale contemporaine. On aime utiliser nos espaces pour les mettre un peu plus dans la lumière. » On vous invite à découvrir l’étincelle qui anime Margaux Carel.

@margaux.carel

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