Chloé Rosetta Bell, paysages d’argile

Sur l’île de Wight, au Royaume-Uni, Chloé Rosetta Bell tourne et émaille des pièces aux couleurs des falaises et de la mer mouvantes bordant sa maison. Plongée dans l’univers d’une artiste chercheuse à la démarche sensible et consciente.

Par Pauline Blanchard

Chaque année, sur les hauteurs de l’Undercliff, à Wight, petite île arrimée au sud du Royaume-Uni, une partie des falaises s’abandonne à la mer. C’est là que Chloé Rosetta Bell, céramiste de 27 ans, ancre chaque jour sa pratique autour du travail de l’argile. Ses explorations des arpents minéraux de l’île ont guidé la jeune femme vers l’art de la céramique. « Sous mes pieds, les falaises possèdent des bandes d’argile, de sable et de craie qui se sont effondrées au fil des années. C’est en touchant et en explorant l’argile de ces roches que j’ai débuté mon exploration de la céramique. »

Pendant ses études au Royal College of Art de Londres, Chloé se prend de passion pour deux projets de recherche. L’un est situé sur l’île d’Anglesey et l’autre en Cornouailles. Elle passe une année à explorer et collecter de ces paysages des matières organiques, et travaille main dans la main avec deux chefs pour imaginer de nouvelles collections pour leurs établissements. « J’ai aussi étudié les Beaux-Arts à Newcastle et je savais que je voulais progresser dans l’univers des objets tangibles et fonctionnels. Mes collections mélangent à la fois ma pratique artisanale et mes connaissances des Beaux-Arts, pour créer des objets nourris par mes recherches. »

Depuis, Chloé s’attache à donner vie à des pièces organiques et à développer des palettes d’émaux issues de recherches minutieuses à travers Wight, l’île qui l’a vue grandir. Subtilement, les émaux qu’elle fabrique teintent ses créations d’une palette minérale tout droit venue des vapeurs océaniques de l’île, faisant écho aux roches blanchies par le sel ainsi qu’aux parures moirées des algues qui s’échouent sur ses plages. « Ma démarche est guidée par la relation que j’entretiens avec l’endroit entourant ma maison sur l’île de Wight. De par sa position géographique, le paysage de l’Undercliff change d’année en année à cause des glissements de terrain. Je rassemble des connaissances de ce paysage et de ses matières à travers chacun de mes sens, en collectant et en pratiquant des techniques artisanales. Je suis ancrée à ce lieu et à toutes les possibilités qu’il a à m’offrir. »

Retranscrire l’âme des paysages
Plus qu’un simple angle de recherche, c’est toute la vie de Chloé qu’on retrouve dans les pièces paysages auxquelles elle donne vie. « Je cours le long des côtes et je nage dans l’océan chaque jour si je le peux. Me réveiller pour être ensuite dans les falaises, courir sous leur crête ou descendre à travers les rochers jusqu’à la mer, tout cela fait partie de ma pratique. C’est à la fois un ancrage et une connaissance du terrain. Lorsque je me glisse entre les arêtes douces des falaises, ou que j’ai le goût du sel dans ma bouche, j’emporte toutes ces sensations à l’atelier et cela influence de toutes parts les objets que je fabrique. » Un exemple de cette pratique ancrée, la collection Oyster Shell, produite en collaboration avec un parc ostréicole en Cornouailles et un restaurant étoilé londonien. « J’ai utilisé des coquilles d’huîtres afin de créer une glaçure pour mes céramiques. Cet émail très particulier possède une apparence perlée qui illumine l’argile. On peut aussi y apercevoir les éclats d’or et de vert des oxydes de métaux naturellement présents dans la coquille. Le but de cette collection de vaisselle, c’était de connecter les clients du restaurant à l’état originel et à la source de la nourriture qu’ils dégustent au creux des assiettes. »

Souvenirs sensoriels

Chloé fixe dans l’argile l’âme de ces paysages qui peu à peu disparaissent, avalés par l’océan. La céramiste travaille longuement ses émaux, comme pour graver dans la terre cuite les nuances des éléments mouvants qu’elle observe chaque jour. « Certains chemins que j’avais l’habitude d’emprunter quotidiennement sont maintenant tombés dans la mer. L’Undercliff est le lieu européen le plus étudié par les scientifiques. La crise climatique a progressivement réduit sa stabilité. Ma pratique agit comme un souvenir physique et sensoriel qui capture et préserve le paysage à un instant précis dans le temps. »

Cette conscience de la fragilité de la nature fait de la pratique de Chloé une œuvre sensible et consciente. « La durabilité est une partie cruciale mais subtile de mon travail. Je vais bientôt collaborer avec un géologue pour étudier l’impact de la crise climatique sur l’Undercliff. Et avec ma sœur, qui travaille dans ce domaine, nous étudions ensemble chaque élément pour voir comment je peux mieux prendre soin de la planète au fur et à mesure que mon travail progresse. » Vaisseaux de terre nourris de l’iode alentour et des investigations patientes de la céramiste, les pièces façonnées par Chloé résonnent comme des témoignages tangibles des dégâts présents et à venir engendrés par le bouleversement climatique. Des œuvres sensibles pour témoigner au monde de la beauté de la nature qui s’efface un peu plus chaque jour sous nos yeux.

chloerosettabell.com
@chloerosettabell

Les inspirations
de Chloé Rosetta Bell

Vos rituels des matins calmes ?
Je suis une lève-tôt. Je commence toujours par un café et par l’écriture de quelques pages pour y coucher mes pensées et mes idées pour la journée à venir. Je m’assois dehors, au bord de la prairie sauvage qui borde ma chambre. Ensuite, je pars courir sur les falaises puis nager. Je suis une adepte des rituels, et commencer ma journée par ces petites habitudes m’ancre pour les heures suivantes.

Votre argile favorite ?
Un mélange de grès, de minéraux et d’argile du Gault provenant des falaises. J’utilise le grès pour sa facilité à être tourné, alors que les matériaux des roches de Wight ajoutent de l’imprévisibilité dans les cuissons.

Le plat d’hiver qui se marie bien avec vos pièces ?
Un porridge le matin, avec du lait et une larme de miel, dans un bol Oyster Shell. Beau et simple.

Une palette de couleurs en cours d’exploration ?
J’étudie actuellement l’Undercliff, donc beaucoup de bleus et de verts profonds.

Votre promenade hivernale préférée sur l’île de Wight ?
Le chemin de la falaise de Steephill Cove à Binnel Bay est celui que je refais sans cesse, sans jamais me lasser.

Une recommandation de livre pour les longues nuits d’hiver ?
Je suis une lectrice avide. Je lis chaque soir à la lueur des bougies. J’ai absolument adoré The Sealwoman’s Gift de Sally Magnusson. Je dévore la fiction et particulièrement la fantasy, ma saga préférée étant la trilogie Winternight de Katherine Arden.

L’habitude hivernale que vous chérissez ?
Continuer à nager en hiver est quelque chose que je chéris. On finit par passer tellement de temps à l’intérieur en hiver… Le froid glacial est exactement ce dont j’ai besoin pour m’aérer et me rafraîchir.

À quoi ressemble une “bonne vie” pour vous ?
Une bonne vie, c’est un café dehors le matin avec mon mari, une course le long de la falaise, une baignade avec une amie avant une journée calme et solitaire au studio pour me perdre dans le travail de la terre. Enfin, un dîner simple et un bon livre au lit.