D’âme patine

Faire le défait, rénover l’oublié. Ce qui intéresse Alexandra Sliosberg, c’est la décoration d’un temps que les moins de 20 ans n’ont pas connu. Et pourtant, témoignages d’autres époques, d’anciens meubles rénovés et sublimés par ses soins trouvent place dans des intérieurs contemporains. Dans la même énergie, la néo-brocanteuse rénove sa maison depuis quinze ans. Un lieu chargé d’histoire transformé en havre de paix, où objets et mobilier chinés et accordés à l’unisson créent une atmosphère chaleureuse et lumineuse.

Par Stéphanie Thiriet – Photographies : Audrey Fitzjohn

Lorsque Alexandra et son mari sont amenés à se réinstaller en région parisienne après quinze ans à Londres, leur souhait est de rénover une maison, doublé pour Alexandra d’un autre projet. Après une carrière dans la publicité, elle précise : « Je n’avais pas envie de rejoindre à nouveau le monde de l’entreprise. Je voulais avoir un atelier, y travailler de mes mains, sans savoir encore comment. » Ils voient une première maison et c’est le coup de cœur. Problème, celle-ci n’est pas à vendre : « Nous y sommes juste entrés pour chercher les clés d’une autre maison à voir, mais j’ai insisté pour la visiter. » Et elle a beau en voir beaucoup d’autres ensuite, c’est celle-ci qui lui reste en tête. L’effet coup de foudre. « J’ai senti le potentiel, elle nous a parlé. Il y flottait un air de vacances. Je dis aux propriétaires qu’elle m’intéresse, je finis par les convaincre. » Vendu !

La presque vie de château
Vieille de 400 ans, la maison, vide depuis une cinquantaine d’années, est délabrée. Toutefois, un autre couple est plus récemment passé par là, et s’est chargé du gros œuvre :  retirer les faux plafonds, refaire le chauffage, mettre du double vitrage. « À force, peut-être se sont-ils découragés… mais pour nous, c’était une toile vierge », relate Alexandra. Dans cette rue d’Ecquevilly (78), ladite maison est d’une apparente simplicité. À bien l’observer toutefois, se devine le mur d’enceinte de l’ancien château de la ville. Épais de 2,50 mètres, il se prolonge vers une ancienne écurie. Il soutient aujourd’hui, entre les deux bâtiments, une pièce à vivre baignée de lumière, décorée d’objets au charme vintage. Mais pour arriver à transformer cet espace, un ancien hangar à charrettes resté tel quel (ainsi que l’ensemble), il a fallu bien des étapes.

Rénovation en cinq temps
Alexandra commence par un postulat : « Des sols à moitié gondolés, des murs pas droits, des portes pas d’équerre, certes… mais nous avons voulu garder cette âme. Créer une maison où il fait bon vivre, chaleureuse, où tout est simple », avant de détailler avec clarté le tempo des travaux : « J’ai passé des mois à enduire les murs intérieurs d’un plâtre lissé et certains murs extérieurs à la chaux. Puis on a fait la cuisine et le séjour au rez-de-chaussée, une salle de bains, une chambre pour nous, une pour les enfants ; c’était basique mais suffisamment confortable pour s’installer. » Au second étage, sous combles, après quelques mésaventures de sol et d’isolation, « erreur de débutant », rit la rénovatrice désormais aguerrie, l’espace de 55 mètres carrés est revu et divisé avec l’aide d’artisans. Les trois enfants bénéficieront alors chacun de leur chambre. Deux étapes déjà, et une petite pause. Entre-temps, Alexandra a trouvé son nouveau métier. Elle se souvient : « Il y a quinze ans, j’ai commencé à chiner des meubles ; puis j’en ai fait une activité en vendant sur des blogs, sur Facebook, puis sur Instagram qui a accéléré le développement. » C’est ainsi que Petite Belette (à l’origine Les Belettes du grenier) est née et a perduré. « À l’époque, je pensais à un phénomène de mode, mais la chine est devenue une philosophie de vie. Les gens réalisent que le meuble centenaire a un cachet, de la chaleur, du caractère. Ils sont plus prêts à attendre la belle pièce qui viendra sublimer leur intérieur », analyse-t-elle alors qu’elle a lancé fin 2021 une masterclass en ligne afin de répondre à une demande croissante de conseils pour rénover ses propres meubles.

Sauver les meubles perdus
L’entrepreneuse est attirée par des objets et des meubles bien particuliers : les désespérés, les oubliés, les rebutés. Elle raconte : « J’ai tendance à choisir des pièces assez abîmées ; j’adore les traces du temps et le processus de transformation. Je retravaille chacune d’elles, je ponce, je cherche une patine, je peins. J’aime ressusciter quelque chose, lui donner une seconde vie, en faire quelque chose de désirable. » Et « étant tout le temps en salopette et dans la peinture », elle est parée pour la reprise des travaux et une troisième étape, non des moindres. Évoqué précédemment, le hangar à charrettes. En terre battue, couvert d’un toit de tôle, il est devenu, sans trop de modifications, une grande terrasse. Souhaitant préserver sa fonction d’espace à vivre, Alexandra et son mari choisissent d’y installer salon et salle à manger. Après avoir fait isoler le toit et poser une dalle chauffante au sol, ils installent, en face du mur d’enceinte, une grande verrière qui vient fermer l’espace (d’une part la maison, d’autre part l’ancienne écurie transformée en atelier pour l’activité de réfection de Petite Belette).

Laissons, laissons entrer le soleil
« Elle garde cette magnifique lumière que j’aime, étant du Sud », se réjouit Alexandra, qui a bataillé pour trouver l’artisan disposé à répondre au défi technique que représentait une cloison en verre de 40 mètres carrés. Celui-ci a également conçu un escalier en métal noir qui mène à une chambre d’amis. Ensuite, le rez-de-chaussée de la maison originale est repensé. « Nous adorons cuisiner, on s’est dit qu’il fallait qu’on exploite cet espace », commente Alexandra. En effet, il concentre toutes les pièces à vivre, alors que le séjour s’est déployé à côté. Une cloison est abattue, libérant une surface de près de 40 mètres carrés. Les meubles bas de la nouvelle cuisine sont créés à partir d’une précédente, pris dans un élément maçonné fait de colonnes de carreaux de ciment et d’un plan de travail en béton. Leurs façades faites en hêtre et sur-mesure apportent de la chaleur. Alexandra chine de la vaisselle dépareillée, et récupère un meuble de tri postal pour la ranger. La table est faite de la découpe d’un ancien portail en chêne présent sur place. « Un esprit de campagne » était le maître mot pour définir l’atmosphère à donner à cette pièce. Enfin, pour l’étape n° 5, cap au-dehors. « Nous avons une bande de jardin très dégagée, en plein soleil et donnant sur le parc de la mairie. Il y a vraiment à cet endroit une impression de vacances », explique Alexandra, en glissant avoir insisté pour avoir du bois de coffrage, plutôt qu’un bois dédié, pour cette nouvelle terrasse. Quelle sera l’étape n° 6 ? « Je suis très intuitive », souligne-t-elle. Nous avons hâte de voir jusqu’où ses jolies intuitions vont la mener.

@belettepetite