Datil par Manon Fleury, fine fleur de la gastronomie végétale

Dans le Marais à Paris, voici une table gastronomique à travers laquelle la cheffe engagée et son associée Laurène Barjhoux expriment leur vision du restaurant de demain : sensible, raisonné, porteur de sens et surtout plus humain. Rencontre.

Par Margaux Steinmyller Photographies : Pauline Gouablin

Dans la presse, à la radio, au gré des critiques, Manon nous confie que la cuisine passe souvent en dernier quand un restaurant est aussi pointilleux sur ses engagements. Alors on va commencer par ça : allez-y parce que c’est bon. Plus encore, les quatre à cinq séquences du menu dégustation à dominante végétale sont toutes aussi savoureuses, créatives, généreuses, colorées, techniques et riches en surprises. Par exemple lors de notre venue, dans un menu de saison centré sur la pomme de terre : une infusion d’épluchures de pomme de terre torréfiées à l’huile de géranium ; un ceviche de rutabaga, radis rose, Saint-Jacques, crème d’ail à l’amande et harissa ; une bouchée de pomme de terre dans une pâte à tempura de sarrasin et de maïs ; une mousse de pomme de terre, laitue de mer et poire ; une feuille entière de blette sous laquelle se cachait une tombée d’épinard condimentée avec de la cacahuète, du citron, des huîtres cuites et de la saucisse grillée… « Chez Datil, nous avons une passion pour le bon et le beau et un goût affiché pour le bonheur », lit-on d’emblée sur le manifesto déposé sur chaque table. Une promesse finement honorée ! (…)

Partenaires particuliers

Si Manon a de la suite dans les idées, ce n’est pas elle qui compose la carte – du moins pas les fondements – mais ses producteurs, qu’elle préfère appeler “partenaires”. Chaque semaine, deux maraîchers franciliens situés à moins de 150 kilomètres du restaurant – Erwan Humbert de la ferme des Prés Neufs (Longpont-sur-Orge) et Xavier Fender de la ferme des Limons de Toulotte (Sancy-lès-Provins) – livrent la base de légumes. C’est en fonction des arrivages que l’équipe improvise (ndlr : la carte change environ toutes les trois semaines par petites touches selon les approvisionnements). Le reste des denrées est sourcé en France chez de petits producteurs engagés (algues du

Croisic, porc élevé en Lot-et-Garonne, agrumes de Perpignan, céréales, légumineuses et farine paysanne en Nouvelle-Aquitaine, poisson et coquillages issus de la pêche durable via Terroirs d’Avenir…). Zéro intermédiaire ni plateforme logistique, c’est ce qui permet à Datil de nouer des liens solides avec ses fournisseurs, de maîtriser le produit de la terre à l’assiette et d’en garantir la fraîcheur absolue. « C’est un modèle qui demande beaucoup de travail, une certaine flexibilité, des fonds et bien sûr de l’expérience, nous précise Manon. Se fournir en Île-de-France, cela coûte moins cher que de passer par un revendeur ! Je pense qu’il faut faire évoluer les mentalités à ce sujet, et surtout le degré de connaissance pour y arriver. »

Trajectoire maîtrisée

Ancienne sportive de haut niveau (championne de France de sabre junior et membre de l’équipe de France d’escrime), Manon se forme à la cuisine dans l’école hôtelière Médéric puis à l’école Ferrandi il y a plus de dix ans. À cette époque, elle fait ses armes chez les plus grands : Ze Kitchen Galerie à Paris (le restaurant du chef étoilé William Ledeuil), La Marine à Noirmoutier (2 étoiles), Astrance, l’établissement du chef triplement étoilé Pascal Barbot (l’un de ses guides, à qui elle pense encore chaque jour lorsqu’elle cuisine). En 2015, Manon s’expatrie une année outre-Atlantique pour intégrer les cuisines du chef Dan Barber au Blue Hill at Stone Barns au nord de Manhattan, l’une des premières adresses farm-to-table réputée pour son sourcing irréprochable. Cette expérience marquera un tournant dans sa carrière et lui fera comprendre qu’on peut allier la cuisine gastronomique à l’écologie, tout en clamant haut et fort ses valeurs. De retour à Paris, elle passe par le Semilla comme sous-cheffe (le restaurant d’Éric

Trochon, meilleur ouvrier de France) avant de mener les cuisines du Mermoz à seulement 27 ans. Elle multiplie ensuite les projets porteurs de sens (des résidences au Perchoir Ménilmontant, la publication de son premier livre, Céréales, aux éditions Flammarion, une chronique mensuelle sur France Inter…) et s’engage sur son temps libre en cofondant l’association Bondir.e (pour la prévention des violences dans le secteur de la restauration) et en présidant la deuxième édition du concours Mieux manger au cinéma pour faire évoluer l’offre alimentaire dans les salles.

Cheffe de troupe

« Pour certains, monter un restaurant, c’est un départ. Pour moi, c’est un aboutissement », termine Manon. Datil, c’est un projet collectif signe de liberté, né en septembre 2023 aux côtés de la cheffe Laurène Barjhoux et d’une équipe à majorité féminine (Céline, Ibrahima, Juliette, Adèle, Valentine, Frederikke, Louis, Louise, Manon). « Plus jeune, je n’aurais jamais pensé me lancer dans une telle aventure mais je réalise aujourd’hui que c’est pour ça que j’ai travaillé. Choisir celles et ceux qui m’entourent (ndlr : qui ont, pour la plupart, croisé son chemin au fil de sa carrière), rendre visite aux producteurs, rassembler des artisans pour imaginer un lieu qui nous ressemble, sélectionner la vaisselle, le mobilier… » Et surtout, prendre soin de son équipe, son “combat premier”. Conscientes du rythme effréné dans la restauration et de son lot de pénibilité parfois, Manon et Laurène mettent en place des rituels pour préserver leurs salariés. Beaucoup de dialogue (au gré d’entretiens individuels, de réunions d’équipe, de débriefing post-service), des moments informels comme les déjeuners d’équipe pour décompresser avant l’arrivée des clients, des moments de respiration et même un guide de “bonne conduite” (une sorte de règlement intérieur pour poser un cadre et rappeler les valeurs de l’entreprise). Parce qu’une équipe qui fonctionne sur du long terme, « c’est le véritable enjeu de la durabilité d’un restaurant » !

_____

Datil

13 rue des Gravilliers, 75003 Paris
@datil.restaurant
@manonfleury__