Échappées éveillées à travers la France

Florilège de belles adresses où le voyage est plus que jamais prétexte à la découverte, à l’ouverture aux autres et à la nature.

Par Amandine Bessard

De la Normandie à la Méditerranée, il est des endroits où l’évasion est ponctuée du “faire” avec sens. Des endroits où la transmission est essence et l’autonomisation induite par ce cours de yoga au lever du soleil ou de cuisine inclusive, ce temps suspendu au potager ou cette quête guidée de soi en nature… Esquisser ces lieux vivants est impossible sans raconter ceux qui les pensent et les animent, tant leurs histoires souvent se ressemblent (nombre d’anciens urbains ayant changé de vie) et en disent long sur notre société, ou tant leur résilience est forte dans ces entreprises éveillées. Peut-être est-ce cela qui leur donne encore plus l’envie de partager un peu de leur quotidien vertueux ? Dans leurs bien-aimées bâtisses d’hier ou écoconstructions d’aujourd’hui, ils honorent évidemment les matières durables, les artisans locaux, la seconde main et l’environnement. Découverte.

Casa Sallusti
Ferme bohème

Isabella a posé ses valises dans l’arrière-pays niçois il y a presque 20 ans, avec le besoin de changer de vie. « Je voulais partir de Paris, me rapprocher de la nature, lorsque j’ai eu mon quatrième enfant », nous raconte cette ancienne styliste de presse. Les prix exorbitants de la région la poussent à l’époque vers un terrain en friche, celui d’un petit paysan abandonné depuis 50 ans, peu cher mais moyennant l’exploitation du lieu en activité agricole. Des ronces partout, aucun point d’eau… Peu importe, Isabella se lance. « Je voyais le vallon en bas, je ne savais pas ce que j’achetais, mais je ne sais pas pourquoi, je me sentais bien. C’était comme un appel, c’était là », confie-t-elle émue. Isabelle découvre la permaculture, qui lui est d’une grande aide dans cette entreprise titanesque. Imaginez entretenir 7 000 mètres carrés de cultures sur 60 mètres de dénivelé, à l’arrosoir ! Si le potager biologique est aujourd’hui toujours roi, notre hôtesse se réjouit désormais d’avoir un bassin naturel sur le domaine et peut accueillir des vacanciers dans trois écolodges en bois de la région, de confortables tentes bohèmes, meublées avec de la récup’, équipées le plus écologiquement possible (toilettes sèches, récupération d’eau, phyto-épuration, lampes basse tension…). Ce qu’Isabella a appris sur le terrain, elle trouverait « dommage de ne pas le transmettre ». Pour cela, le quotidien à la Casa Sallusti est truffé de cours de cuisine végétarienne, d’ateliers d’apiculture ou de permaculture, de cours de yoga, de massages près du sauna ou de la participation, à l’envi et chaleureusement remerciée, au soin du domaine : potager, jardin médicinal et aromatique, forêt comestible, animaux…

670 chemin des Collets
06640 Saint-Jeannet
casasallusti.com

Auberge La Fenière
Théâtre nourricier

Chez les Sammut, la cuisine a toujours eu ce petit goût romanesque et subversif. Au pied du Luberon, l’auberge La Fenière demeure depuis 46 ans le terrain de jeu de trois générations de femmes éconduites de la Provence, de son terroir et surtout de sa transmission dans l’assiette. Claudette d’abord, puis Reine et Nadia. Un trio de cheffes libres, l’une à la tête d’un restaurant dans les seventies, la suivante étoilée au Michelin en 1995 (si rare pour une femme qu’il faut le souligner, et encore plus à l’époque) et la dernière, chahutée durant sa jeunesse par une maladie cœliaque et des intolérances alimentaires, première étoilée sans gluten. La jeune femme a puisé dans sa résilience personnelle une cuisine sensible et inclusive, qu’elle fait vivre derrière les fourneaux avec son compagnon Ernest et lors d’ateliers avec Reine. Au fil des maintes tablées joyeuses, La Fenière s’est métamorphosée en véritable lieu de vie, où l’on interroge « le comment mieux nourrir l’autre et créer des biomes, des écosystèmes vertueux qui naissent de la semence et dans les terres choyées », explique Nadia. La famille privilégie les agriculteurs et les paysans locaux engagés, comme les défenseurs des variétés anciennes. Depuis 2017, Nadia puise aussi de nombreux légumes, herbes et fleurs dans le potager en permaculture en contrebas du domaine, havre de paix et d’expérimentation d’Ernest. La demeure dispose aussi de plusieurs chambres, en plus du couvert succulent. L’occasion de se sustenter un peu plus longtemps de ce moment optimiste, avec amandiers en fleurs et romarin fragrant au printemps.

Route de Lourmarin
84160 Cadenet
aubergelafeniere.com

Maison Acacia
Curiosité iodée

Des tomettes de Salernes dans l’entrée, du parquet en chêne massif de Bourgogne, des objets rapportés d’ici, d’hier et d’ailleurs… Dans cette bâtisse solaire de 1760, la désirable escouade de teintes ambrées est adoucie par la candeur du blanc cassé et des plantes disposées avec largesse. Du beige délicat au brun chaleureux, de l’ocre brut au noisette délicieux, la matière y est naturelle (lin, bois, rotin) et aussi d’une seconde main aiguisée. Léa, photographe, et Tom, styliste d’intérieur, ont d’abord tenu un coffee shop à Saint-Ouen, puis une première guest house à Marseille – ayant choisi de quitter le tumulte parisien pour la douce Phocée contemporaine et vivante. Après trois ans, l’exode urbain et l’envie de recevoir du couple se sont poursuivis dans cette maison nichée dans la vieille ville de La Ciotat. La façade patinée à l’apparat de persiennes olive a tout de cette Méditerranée d’adoption que le couple a désormais au cœur, avec le petit port de pêche en sus et le parc national des Calanques toujours proche. Léa et Tom – heureux parents de deux enfants – l’ont pensée comme une demeure familiale, de celles qui, dès qu’on en passe la porte, nous plongent joyeusement dans la convivialité estivale, miel d’acacia et tapenade en évidence sur la table, et dans la petite épicerie de produits locaux de la maison. Chacune des quatre chambres est un cabinet de curiosités où le voyageur est d’office chineur, puisque tous les objets sont à vendre, des luminaires aux coquettes savonnettes. Un moyen de partager leur passion pour le beau, et d’en finir avec la frustration des inspirations de voyage que l’on ne peut rapporter dans ses valises.

24 rue Gueymard
13600 La Ciotat
maison-acacia.com

Natura Gratia
Terre fertile

Gaëlle va « là où le vent la mène et l’énergie lui parle ». Cette « guérisseuse et alchimiste du végétal » s’est amourachée d’un ancien moulin de 1640, au cœur des bocages du pays d’Auge. « Plus je faisais des méditations, plus la Normandie se manifestait. Je suis tombée tout de suite sur cette maison qui rassemblait tout ce que j’avais demandé », assure-t-elle. En rupture d’un passé de directrice artistique à Paris, elle s’est d’abord réfugiée dans le Loiret, où elle a initié ses soins et ses enseignements, avant d’investir cette grande bâtisse à colombages au printemps. La maison est étreinte dans trois hectares préservés et abreuvés par une source d’eau vive, une nécessité pour Gaëlle qui officie avec le vivant. « La première année, je ne vais pas faire grand-chose dans le jardin car je souhaite observer ce que la nature m’apporte », note-t-elle. La praticienne se réjouit de réinventer les lieux en phase avec ses vibrations et l’environnement, timbres d’office chinés par-ci, draps en lin d’hier devenus rideaux de douche par-là. La maison héberge expressément des retraites holistiques individuelles ou en duo, bien que Gaëlle n’exclue pas les stages de groupe, quand les temps seront plus propices. Ces moments introspectifs, allant de la libération émotionnelle à la quête spirituelle, sont guidés par les plantes et les bienfaits de la spagyrie, un processus complexe de transformation puisant l’énergie curative des végétaux au-delà de leurs principes actifs. De la salle de travail, épiée par d’incroyables voûtes haut perchées, au laboratoire onirique, jusqu’au dehors nourricier pour le corps et l’âme, cette jeune villégiature ne demande qu’à éclore.

Cour du Fresne, 10 route des Loges, Sainte-Marguerite-des-Loges
14140 Livarot
naturagratia.fr

L’arbre aux étoiles
Cocon normand

Redonner de l’autonomie à chacun dans la manière de se nourrir, de se guérir, de communiquer… Tel est le dessein humaniste et holistique de cette adresse à quelques encablures de la belle Honfleur. La Normandie, Maÿlis y a ses racines, mais c’est las de 20 longues années de vie à Paris qu’ils la retrouvent avec son mari Cyril en 2012. De rencontres en conférences, à la découverte de pratiques alternatives, le couple revoit son ébauche de “simple” projet d’écotourisme en un lieu plus vivant, rythmé par des stages et des ateliers. Au programme : yoga, qi gong, permaculture, alimentation en équilibre, développement personnel, chamanisme, astro-herboristerie, écoféminisme, réflexologie… et même un festival en septembre, cette année sous le signe croisé de l’art et du jardin. Les trois hectares du domaine (entre potager, verger et forêt), autrefois élevage de moutons, surplombent une vallée encore sauvage et invitent à la quiétude, spa à l’appui. La vieille bâtisse en pierre d’origine cohabite avec deux autres bâtiments écoconstruits en mélèze et en pin. L’intérieur célèbre les objets chinés ou d’artisans (comme le bar réalisé sur-mesure dans le Jura), les linges en coton biologique ou les matelas en laine estampillés français. Compost, énergies renouvelables ou collecte des eaux de pluie (pour alimenter les chasses, le potager ou la mare) sont également de mise. Au menu : cuisine biologique, végétarienne, de saison et tant que possible locale ; environ 30 % glanés sur place en été. Une « densité de vie hors du temps, selon Maÿlis, dont les gens repartent, bousculés dans leurs habitudes, plus tout à fait pareils ».

168 impasse d’Aumale, Le Feugré
27210 Fatouville-Grestain
larbreauxetoiles.fr

Les Petites Vaines
Tableau provençal

Il faut s’aventurer entre les champs d’oliviers, les vignes et les lavandes odorantes pour embrasser ce doux fragment de Provence. D’un côté s’élève le mont Ventoux, de l’autre les saillies plus intimes du Lubéron. Le domaine des Petites Vaines, Emmanuelle et son mari Quentin s’en sont entichés il y a trois ans, sur un amusant « coup de vaine ». Les veynes, dans le patois local, désignent surtout les remarquables falaises d’ocre en contrebas du jardin. Le mas principal en pierres sèches, daté du XVIIIe siècle, est une ancienne bergerie, couronnée grâce aux récoltes allègres d’hier d’autres maisonnettes. Celles-ci composent aujourd’hui les trois gîtes retapés à l’unisson par le couple, lui maître d’œuvre pour les volumes, elle ancienne journaliste repentie sur le tas en carreleuse, peintre, couturière ou chineuse. Tables de salle à manger d’antan, chaises d’écolier ou vieilles malles décorent l’endroit, au côté des chevets façonnés main dans le bois de pin d’un ancien arbre malade du domaine. Emmanuelle se passionne également pour la permaculture (ce printemps, elle expérimente la culture en lasagne) et replante aussi une vingtaine d’arbres par an. Cerises, pêches et abricots sucrés s’insinuent sur la table des convives, invités à cueillir d’eux-mêmes une once du quotidien slow d’Emmanuelle, Quentin et leurs trois enfants : ciseler des herbes fraîches pour le repas, chouchouter les moutons, ramasser les œufs des poules, faire une séance de yoga matinale, se baigner dans la piscine ou s’émerveiller inlassablement des dernières lueurs.

3231A route de Roussillon, Les Petites Vaines
84220 Goult
lespetitesvaines.fr

Terrasse Bonelli @esideproduction