Freya Robbert-Todds, l’instinct floral

Dans son petit coin de paradis normand, Freya cultive ses fleurs en famille pour confectionner des bouquets singuliers destinés aux mariages champêtres ou à ses workshops créatifs, mais aussi pour valoriser la fleur saisonnière et locale. Rencontre avec cette floricultrice autodidacte engagée, émérite et résolument passionnée.

Par Texte : Margaux Steinmyller – Photographies : Elodie Daguin

Une affaire de famille

« Tiens, ça, c’est intéressant… », s’étonne Freya en regardant les buissons sur le bas-côté de la nationale normande. Pas même 20 minutes qu’elle a quitté l’Abri SubTilia qu’elle ne peut s’empêcher d’admirer les fleurs sauvages lorsqu’elle vient nous chercher à la gare, quitte à manquer la sortie pour arriver au village ! L’amour des fleurs, c’est viscéral pour Freya, une passion transmise par sa maman dès son plus jeune âge. D’origine anglaise, Geoff et Lucy, les parents de Freya, élisent domicile en France il y a plus de 30 ans. Ils jettent leur dévolu sur Sallen, un petit village du Calvados aux 300 habitants à quelques kilomètres de Caen, où tout reste à construire. Pendant que Geoff enseigne sa langue natale en ville, Lucy, inspirée par les jardins de sa jeunesse, commence à cultiver les fleurs coupées, avant tout par amour des jardins paysagers !

Attirée par l’univers artistique, Freya quitte le nid familial pour étudier aux Beaux-Arts de Quimper à sa majorité. Elle revient cependant très vite au domaine familial dans l’espoir de créer du concret autour de ce qui la fait réellement vibrer : la fleur. Il y a dix ans, elle compose son premier bouquet (dont la photo trône toujours dans son atelier) en piochant dans la pépinière de sa mère. La machine est lancée. Elle commence par vendre ses créations dans quelques commerces voisins puis lance en parallèle le Tea Garden, une parenthèse enchantée où chacun pouvait venir siroter une tasse de thé et goûter les scones maison des Todds dans leur jardin secret ; une table d’hôtes à l’heure du goûter, qui rencontre à l’époque un franc succès ! Mais si Freya commence à se faire un petit nom dans la fleur depuis cinq ans, c’est surtout grâce à l’univers exigeant du mariage. Sa signature ? Des fleurs sauvages, des bouquets à la fois délicats et déstructurés, des contenants chinés et un approvisionnement 100 % local, puisque la majorité des végétaux est sourcée directement dans son jardin aux mille et une variétés. Plus qu’un métier, c’est un véritable choix de vie pour Freya, dont les journées débutent à 5 heures du matin et oscillent entre l’entretien du domaine, la cueillette, le façonnage à l’atelier, les évènements, le stylisme floral et bientôt les retraites pour “green” adeptes.

Pour une fleur engagée

La slow flower, c’est son crédo. Membre du Collectif de la fleur française, Freya cultive dans une démarche écoresponsable visant à faire évoluer les pratiques de consommation. Et quand on sait que 85 % des fleurs vendues en France sont importées (du Kenya, d’Ethiopie, d’Afrique du Sud, de Colombie…) selon une estimation de Val’hor, et transitent quasi systématiquement par les
Pays-Bas (même les fleurs françaises), il y a encore du chemin. Créée par une journaliste et une floricultrice en 2017, l’association regroupe aujourd’hui plus de 220 horticulteurs, fleuristes et grossistes français qui valorisent la fleur coupée locale et de saison. Ce mouvement prend encore plus d’ampleur à l’heure des reconversions. « C’est fou comme le secteur a bougé en dix ans, raconte Freya ; à l’époque, je me sentais un peu seule, surtout en tant que femme ! » Si les membres du collectif s’engagent à travailler la fleur locale à minima à 50 % et le plus naturellement possible, Freya va encore plus loin. Nouveau chantier en date depuis deux ans, non loin du potager en permaculture élaboré par son conjoint John, une zone de rewilding. L’idée ?

La non-action : « Nous cultivons sur une partie de notre terrain. Le reste, nous n’en sommes que les gardiens. » Et en laissant la nature reprendre son cours, la famille découvre chaque année de nouvelles espèces de plantes, d’oiseaux ou d’insectes venus s’installer. Les mauvaises herbes, les graines et les brindilles ? Cette cueilleuse créative les intègre volontiers dans ses bouquets. Et c’est probablement ce rapport instinctif, cet œil singulier qui plaît dans les workshops qu’elle organise : un ou deux jours dans la ferme florale à ses côtés pour se familiariser avec les végétaux et se former au no floral foam, une technique de composition sans mousse florale (un dérivé du plastique à usage unique encore très utilisé chez les fleuristes dits traditionnels). « On n’arrête jamais d’apprendre, c’est ce que j’aime avec la nature », se réjouit Freya. Avant de créer sa “forêt comestible” à côté du grand tilleul, pilier de l’écodomaine, Freya s’essaie aux plantes vivaces, un nouveau terrain d’expression qui, contrairement aux fleurs annuelles, demande moins d’entretien et résiste aux saisons. La star du jardin ? Le pavot, et pas seulement le coquelicot d’un rouge étincelant : rose, jaune ou bleu, des couleurs hypnotiques et un cycle de vie qui fait sa beauté, du jardin à l’atelier jusqu’au bouquet. Et, finalement, le parfait symbole d’un joyeux domaine en mouvement perpétuel, où le plaisir d’offrir égale la joie de cultiver.

@freyajoygardenflowers

¨ On n’arrête jamais d’apprendre, c’est ce que j’aime avec la nature. ¨