À la croisée des chemins, Johanna Solal est une artiste protéiforme aux arts solaires et généreux. Tantôt artiste peintre, tantôt cheffe, la trentenaire nourrit ces deux arts et ses proches avec la même générosité. Nous avons rencontré Johanna
Solal dans son appartement marseillais. Au printemps, l’artiste a choisi la cité phocéenne, ville de lumière tournée vers la mer pour dessiner ses futurs projets.
Le parcours de Johanna Solal est atypique. Après avoir été admise aux Beaux-Arts de Paris, la jeune femme, chevelure de geai, rebrousse chemin et intègre finalement l’école parisienne Duperré, laquelle forme entre autres les jeunes créateurs dans les secteurs de la mode, de la création textile, de la céramique… S’ensuivent dix années où elle collabore avec des maisons de mode et de luxe et tisse des liens étroits avec des fabricants des métiers d’art. La peinture suit Johanna depuis son enfance. « J’ai toujours peint. J’ai deux oncles peintres et paraît-il que l’une de mes arrière-grands-mères était artiste peintre. Petite, ma mère nous emmenait voir beaucoup d’expositions à Paris et elle m’a très tôt inscrite à des cours de dessin et de peinture. » Un art solitaire qu’elle n’expose que depuis peu. « J’ai exposé pour la première fois au printemps 2023, à l’auberge Aux Bons Vivres, tenue par la photographe Anne-Claire Héraud. C’était ma première expérience publique, j’y ai alors beaucoup appris sur ma peinture », confie Johanna.
̈ Un hommage à l’agriculture, à la ruralité, à mon métier de cuisinière évidemment. ̈
L’artiste peintre a toujours affectionné la peinture impressionniste mais explique être également influencée par le fauvisme, mouvement pictural né en France au début du XXe siècle. La peinture fauve, tout comme le travail de Johanna Solal, s’attache particulièrement au travail de la couleur. Les œuvres sont facilement reconnaissables par l’emploi, sur de larges surfaces, d’une palette aux teintes éclatantes. Le terme “fauve” peut exprimer l’aspect naturel, vif, spontané, presque sauvage de l’emploi de la couleur, méthode que l’on retrouve dans le travail de Johanna Solal. « J’aime aussi beaucoup le travail du peintre Édouard Vuillard qui avait à cœur cette recherche de motifs, explorait les personnages fondus dans le décor et peignait avec beaucoup de poésie des scènes de vie que l’on ne saurait dater. » La peinture de Johanna Solal est instinctive ; pas de modèle ou de mise en scène, simplement parfois quelques esquisses. « J’ai toujours peint à l’acrylique. Longtemps, j’ai tendu de longs draps en lin que je posais ensuite sur châssis, ce qui me permettait de choisir les dimensions exactes de mes tableaux. J’aime ce côté artisanal et brut. » La jeune femme débute par de grands aplats de couleurs avant de chercher les formes. « Mes gestes sont assez libres, je les laisse s’exprimer avant de commencer à former des images, des scènes. » Et c’est souvent là que les deux passions et métiers de Johanna Solal se croisent. L’artiste peintre peint de nombreuses natures mortes où la cuisine, les produits du marché et les tablées généreuses se croisent, comme dans la série Retour du marché, exposée là encore à l’auberge Aux Bons Vivres au printemps 2024 ; exposition que l’artiste peintre définit ainsi : « De retour chez soi après une sortie au marché ou après une balade dans la nature, on expose nos victuailles, nos trouvailles, nos cueillettes sur une table, une nappe… L’objectif est de donner vie à ces “natures mortes”, souvent figées dans les peintures classiques. J’ai souhaité les rendre mouvantes, dansantes, foisonnantes, grâce aux couleurs, aux jeux de textures. Un hommage à l’agriculture, à la ruralité, à mon métier de cuisinière évidemment, qui me donne chaque jour la possibilité d’admirer, de contempler cette nature et ses produits d’exception. J’en fais des icônes, placées à l’avant de la scène. »
La cuisine a toujours occupé une place centrale dans la vie de Johanna Solal. « Je suis issue d’une famille de bons mangeurs. Les repas étaient pour nous des occasions de partage et de rassemblement. J’ai été nourrie par les racines de mes parents, juives ashkénazes du côté de ma mère et juives séfarades du côté de mon père. » Si la cuisine est omniprésente dans l’art de la jeune femme, elle ne pensait pas pour autant en faire son métier. En 2018, à 30 ans, Johanna quitte le monde de la mode et passe son CAP cuisine. Elle explore et découvre la cuisine professionnelle, y prend goût. Diplôme en poche, Johanna est embauchée dans le restaurant parisien du chef Taku Sekine, Dersou, où elle apprend à travailler avec soin le poisson et acquiert le sens de la rigueur. Sa rencontre avec le chef Pierre Jancou donne un tournant à sa cuisine. « À ses côtés, j’ai découvert que c’est le goût des produits et le précieux travail des producteurs et productrices qui doivent guider nos menus, et non l’inverse. »
Ensemble, ils travaillent à l’ouverture du restaurant Natürlich à Genève avant de poser leurs valises le temps d’un été chez Chambre Noire, la cave parisienne avec laquelle Johanna continue de collaborer régulièrement. « Les lieux où je travaille sont une vraie source d’inspiration. J’aime m’acclimater aux gens qui font les lieux et m’adapter aux produits de la région dans laquelle je me trouve. Bien sûr, ma cuisine reflète mes origines et l’histoire de ma famille. Je l’aime généreuse, lisible et nourricière. » Depuis, la cheffe officie de manière itinérante, heureuse d’associer d’intenses périodes en cuisine à des moments plus calmes, loin des fourneaux, qui lui permettent de trouver l’énergie ailleurs, l’inspiration et surtout de peindre. Prochaine escale : une résidence estivale à l’hôtel Le Galinier à Lourmarin dans le Luberon où elle proposera une partition culinaire inspirée de son environnement. Et c’est certain, quelques toiles naîtront également forcément de cette résidence…
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