Microtourisme, dépaysement à portée de main

Et si, lors d’un samedi ensoleillé, on enfourchait nos bicyclettes pour aller cueillir les derniers fruits mûrs de l’été, tout près de la ville ? Et si, sur le chemin, on se laissait émerveiller par les odeurs sylvestres et l’écoulement de la rivière, le sac à dos chargé d’un pique-nique gargantuesque, déniché chez un producteur local ? Et si finalement, le dépaysement était là, au départ du pas de notre porte et non sur le tarmac d’un vol low cost ?

Par Amandine Bessard

On sait aujourd’hui que l’avion émet 45 fois plus de C02 que le TGV et que l’industrie effrénée du tourisme, de masse en particulier, est responsable de 8 % des émissions de gaz à effet de serre. Comme l’explique Natasha Tourabi dans son livre 21 éco-défis pour prendre soin de la planète (Ulmer, 2020), « bien que les mérites de l’industrie du tourisme sur l’économie et les populations locales soient systématiquement mis en avant, seuls quelques privilégiés en tirent des bénéfices considérables ». Pourtant, comme l’affirme Thomas Firh, rédacteur en chef du magazine d’aventures Les Others, « inutile d’aller bien loin : la France regorge de trésors, pour qui sait ouvrir l’œil. Un territoire de 1 000 kilomètres sur 600 d’une diversité rare, où se côtoient forêts immenses et montagnes aiguisées, côtes déchaînées et mer d’huile turquoise, paysages polaires et canyons arides… Une sorte de planète miniature où la nature domine ». Sur ces incroyables étendues parfois oubliées, des créateurs, des restaurateurs, des hôtes et des agriculteurs engagés, souvent méconnus, ont à cœur de partager la richesse de leur travail ou la beauté de leur territoire bien-aimé. Alors, qu’attendons-nous pour partir à l’aventure près de chez nous ?

Réduire son empreinte carbone

Si le microtourisme peut commencer au départ de chez soi, à pied ou à vélo notamment, les trains (inter)régionaux permettent de rallier facilement les coins les plus reculés de France aux grandes villes, en seulement quelques heures. Ce réseau, riche mais peu connu, Juliette Labaronne l’a parcouru avant d’avoir l’idée du livre Slow train (Arthaud, 2019), qui répertorie des escapades le long de ces petites lignes. « La qualité du voyage ne se rapporte pas au nombre de kilomètres parcourus, rappelle la jeune femme. Et si nous pouvons les parcourir d’une manière qui émet moins de carbone, c’est encore mieux. Le train est un moyen de transport rapide, qui est de loin le moins émetteur. Nous pouvons trier nos déchets, utiliser une gourde, manger bio et dormir chez l’habitant, si nous faisons un aller-retour en avion sur une semaine, notre impact explose. Cette façon de consommer très vite beaucoup de kilomètres est problématique d’un point de vue écologique ». Les trains les plus slow ont aussi l’avantage d’un prix fixe et le transport des vélos y est gratuit. « Le long de la côte normande, il y a des gares partout, ce qui permet de moduler son itinéraire », explique Amélie Deloffre, auteure du livre 2 jours pour vivre (Gallimard Voyage, 2019) et fondatrice du média de microaventure éponyme. À plus petite échelle, les réseaux de transports en commun relient les citadins aux espaces naturels en périphérie urbaine, notamment les parcs, les étangs et les forêts… Au lieu de choisir le moyen de déplacement le plus rapide en fonction d’une destination – souvent lointaine –, pourquoi ne pas déjà explorer les si nombreux espaces désirables accessibles de manière plus douce ? Une façon de repenser le chemin pour arriver à destination comme un voyage en soi : « En Auvergne, le train passe au milieu des villages, avec une maison de chaque côté, des champs… On a le temps de voir le paysage. On regarde par la fenêtre, on voit quelqu’un moissonner, prendre son vélo avec le pain à l’arrière, faire une balade avec deux chiens ou du canoë sur la rivière, raconte Juliette Labaronne. Si l’on se place dans cette posture beaucoup plus contemplative, ce sont autant de points de départ fertiles pour l’imagination ».

Se dépayser autrement

« L’exotisme, ce n’est pas une question de distance, de destination lointaine, de vol longue durée… C’est à la portée de tout le monde », nous explique Vincent Drye. Le jeune homme a cofondé les Mad Jacques, des courses à vélo ou en auto-stop dont le but est de rallier un village perdu, et a ouvert, sur le terrain d’une ancienne abbaye picarde, un premier refuge de haute campagne – l’équivalent rural du refuge de haute montagne. Outre réduire l’impact aérien, Vincent voit dans le microtourisme un moyen de désengorger certains de nos territoires, notamment les littoraux surexploités en été, ou les stations en hiver. « Notre objectif est d’arriver à rendre désirables des destinations qui ne le sont pas à la base. Il faut réussir à raconter que la Creuse c’est génial, que la Picardie c’est sexy, et qu’il y a finalement presque plus de choses à faire, en tout cas différentes et plus valorisables, en partant deux jours à vélo dans le Morvan plutôt qu’en trip kitesurf à Marrakech », confie-t-il. Un point de vue partagé par Thibaut Labey, le cofondateur du média Chilowé, dans un manifeste sur la microaventure : « Nous avons besoin de nouvelles histoires. Elles montreraient  par exemple – qu’un week-end de bivouac à vélo près de chez soi est sans doute plus souhaitable que 48 heures à Budapest pour boire des verres. À nous de créer et de nourrir ces nouvelles utopies ». Sur le site ou dans le guide Chilowé, on va donc chercher du brie à Meaux ou cueillir ses fruits depuis la capitale, à vélo. Natasha Penot, dans son ouvrage En forêt (Gallimard Voyage, 2019), aborde aussi, de manière inédite, les espaces sylvestres sous l’angle du tourisme : « Dans le bois de Païolive, dans les Cévennes ardéchoises, on pourrait se croire dans une cité antique en ruines. C’est un labyrinthe très minéral, avec une végétation très dense, des lianes, des mousses, des espèces d’arches de tunnel, des colonnes en pierre… On a l’impression d’être Indiana Jones qui découvre une cité enfouie !, s’amuse l’auteure. On a tous une forêt près de chez soi, c’est le dépaysement facile ».

Rencontrer des acteurs engagés

Autre point important pour Vincent Drye, cofondateur des Mad Jacques : penser ces courses itinérantes avec les locaux. « Nous donnons un road book, avec de nombreux check-points… C’est une vraie incitation à découvrir la région. C’est principalement en y passant du temps et en nouant des relations avec les gens qui y habitent que nous dégotons des adresses intéressantes. Nous travaillons beaucoup avec les producteurs », explique-t-il. Le microtourisme invite ainsi à prendre le temps de s’arrêter, de discuter, de faire vivre ces acteurs locaux. « La vallée de la Roya, à l’extrême sud-est du pays, est un endroit coincé entre la France et l’Italie, d’une beauté exceptionnelle. Quand on y monte, on aperçoit des chapelles italiennes magnifiques, en pleine montagne, et, d’un coup, un trentenaire qui sort pour s’occuper de ses ruches. En fait, on y trouve tout un réseau de néopaysans, qui ont fait le choix de cultiver la terre par eux-mêmes, parfois après des études universitaires poussées », ajoute Juliette Labaronne. Lors de son tour de France en train, la jeune femme a eu la chance de ressentir ce dynamisme un peu partout en région : des manufactures anciennes toujours en activité, de nouveaux hôteliers engagés, des artisans, des cuisiniers… On trouve aussi de plus en plus de vieilles maisons de charme qui ont repris vie ou des hébergements – souvent écologiques – en pleine nature. Chilowé recense d’ailleurs quelques cabanes pépites sur sa nouvelle plateforme. Le microtourisme est aussi l’occasion de laisser place à d’heureux imprévus. « J’aime beaucoup manger ce qu’il y a dans le coin. Je crois que cela fait partie de la microaventure. Un marché ou une petite brasserie, n’importe quoi, ce que l’on trouvera », se réjouit Amélie Deloffre. Reste aussi l’option du bivouac ou du refuge, pour les plus aventuriers, privilégiée notamment par Thomas Firh. « Le refuge est vraiment le meilleur endroit de la montagne, parce qu’il est en pleine nature, qu’on y fait beaucoup de rencontres et que les gardiens ont souvent de folles histoires à raconter, note le jeune homme. Dans la Vanoise, le refuge de la Dent Parrachée est vraiment magnifique. Il y a une petite terrasse en bois, une vue sur deux lacs et des espèces de petits fanions comme dans l’Himalaya. Le refuge de l’Aigle, dans le massif des Écrins, est aussi connu pour son architecture, puisqu’il est posé sur un éperon rocheux. »

Faire du voyage un quotidien

Pour Thibaut Labey, le dessein final d’un tel tourisme, plus local, durable et éthique, c’est le respect de la nature au quotidien : « Cousteau a dit : On aime ce qui nous émerveille, on protège ce que l’on aime. C’est partir du principe que plus nous passons de temps dehors, plus nous allons connaître la nature et plus nous allons avoir envie d’en prendre soin ». De ces escapades de quelques jours, on rapporte d’ailleurs des souvenirs plus vertueux. Exit le mug « I love New York », à la fabrication peu soucieuse de l’environnement et des hommes, destiné à prendre la poussière, et bonjour le fromage local, les fruits à savourer dans la semaine ou les céramiques artisanales dans lesquelles grignoter en rentrant du bureau. On glane aussi des rencontres vagabondes des connaissances pour vivre en conscience tous les jours : b.a.-ba de la permaculture, idées de recettes de saison, bases de la poterie, connaissances sur la construction ou les transports verts… Partir à l’aventure près de chez soi, c’est finalement comme chiner ce vase dans la boutique au coin de la rue ou croquer dans un fruit biologique cabossé du producteur local. Un acte responsable, qui rehausse notre quotidien d’un goût unique et délicieux.