Thomas Collomb, chef étoilé : “je suis pour le bon sens avant tout !”

Le chef engagé bourguignon récemment étoilé revient sans filtre sur ses convictions : de la cuisine responsable à l’approvisionnement local, de la viande au vin nature…

Par Margaux Steinmyller

Parrain de la seconde édition de la Semaine de la Gastronomie Durable à l’Ile Maurice,Thomas Collomb a décroché deux étoiles au Michelin en 2020 (une étoile verte et une étoile rouge) pour sa Table d’Hôte – La Rôtisserie du Chambertin. Chef engagé aux mille et un talents (cuisinier, boulanger, pâtissier, charcutier, boucher), Thomas revient sans filtre sur ses convictions : de la cuisine responsable à l’approvisionnement local, de la viande au vin nature, de ses plus grands stress aux petits rêves inachevés, et tout ce qui mijote dans un coin de sa tête.

Vous êtes parrain de la seconde édition de la Semaine de la Gastronomie Durable organisée par Héritage à l’Ile Maurice. Quelle est votre plus belle découverte ?
J’ai adoré le palmiste (le cœur de palmier), la façon dont ils le cuisinent ici, c’est fascinant ! Cette semaine, on a mangé 100% locavore avec des ingrédients exceptionnels : de la dorade super bien cuite, un pressé de légumes issus du potager voisin, du tamarin, de la noix de coco sous toutes ses formes… 

Le plus beau compliment qu’on vous ai fait cette semaine ?
J’ai cuisiné du cerf à plusieurs reprises : lors d’une masterclass sous forme de kefta, et à l’occasion du dîner de gala de clôture, en rôti avec du palmiste. Je crois beaucoup en ce produit : à l’Ile Maurice, c’est la viande rouge locale (ndlr : il y a des saisons pour chasser et réguler le nombre de cerfs sur l’Île Maurice), elle est riche en fer et contient très peu de gras. Plusieurs personnes m’ont remercié de leur avoir fait redécouvrir le cerf d’une autre manière, et ça m’a fait très plaisir. 

Quelle est votre vision de la cuisine responsable et les actions que vous mettez en place dans vos restaurants en Bourgogne ?
Les circuits courts dans l’approvisionnement, c’est naturel, on fait comme ça depuis très longtemps ! On n’a plus de carte au restaurant, les menus sont élaborés au jour le jour en fonction de ce que l’on trouve chez nos fournisseurs. Un peu comme chez vous quand vous ouvrez le frigo (rires). J’achète la viande chez les éleveurs, je tiens le planning des abattages et je sais ce que l’on va recevoir les prochaines semaines mais c’est tout.
Pour aller encore plus loin, j’ai même déjà pensé à élever moi-même le bétail, ou alors reprendre une vieille ferme avec mon épouse. Sauf que c’est une très grosse charge de travail et encore plus de responsabilités. Des idées j’en ai plein, mais derrière, il faut que cela reste réalisable ! 

En 20 ans de métier, avez-vous toujours eu ces réflexes, ou cela vient d’une prise de conscience à un moment donné ?
Il y a eu un switch du jour au lendemain dans mon restaurant à Dijon il y a quelques années.  Un jour, j’ai acheté des bars de ligne exceptionnels sur le marché. Je les ai mis dans le menu (déjà très restreint) et ce week-end-là, on n’en a vendu absolument aucun. Sauf que du poisson frais, c’est à consommer dans les 48 heures ! À partir de là, je me suis dit stop. Acheter des produits aussi beaux pour ne pas les servir, ça n’a pas de sens ! Depuis, le menu est imposé et c’est un peu la surprise. J’adore les produits considérés comme « bas de gamme » ou peu appétissants : les abats, les pieds de cochon, les ris, le cœur de bœuf… Vous écrivez ça sur une carte, personne n’en veut (rires). Alors que si la matière première est bien travaillée, on devient plus curieux. Je n’ai qu’un conseil : au restaurant, laissez-vous guider et faites confiance aux chefs, on ne va pas vous empoisonner !

Quel est votre regard sur la cuisine végétarienne ?
Je pense qu’il n’y a pas de végétal sans animal. Pas de culture sans excréments, sans fumier ! Évidemment, je suis contre l’élevage intensif, il faut trouver le juste équilibre.
À titre personnel, je suis flexitarien, je mange de tout en bonne cohérence. La viande, j’en mange très peu, mais je sais d’où elle vient. Si je fais des burgers à mes enfants c’est parce que j’ai désossé un bœuf, que j’ai trié la viande et que je l’ai hâchée. Je suis pour le bon sens avant tout. 

Et sur l’essor du vin nature ?
On a de la chance parce qu’en Bourgogne, une grande partie des vignerons travaillent en biodynamie. Je me souviens, il y a 10 ans, j’ai goûté mon premier vin nature sans souffre (de la vigneronne Claire Naudin) et j’ai eu une révélation. Je me suis dit “ça, c’est l’avenir !”Avec du recul, pas tant que ça (rires). À partir du moment où le vin est nature, on a tendance à tolérer tous ses défauts : un vin trouble, pétillant, qui réduit… Alors qu’un tout petit peu de soufre amène de la pureté, renvoie au terroir, à la minéralité et c’est hyper important ! J’ai bientôt 50 ans et disons que je suis moins extrémiste qu’à mes 25-30 ans. Dans la cuisine, tout est question d’équilibre ! 

 

En 2020, vous avez reçu 2 étoiles Michelin (une étoile rouge, et une étoile verte) pour la Table d’Hôtes à Gevrey-Chambertain. Entre nous, quelle étoile vous a rendu le plus fier ?
Pour être honnête, j’étais presque plus content d’avoir l’étoile verte. Parce que cette distinction récompense une idée plus qu’un niveau de cuisine, ce pour quoi on se lève tous les matins. C’est une petite fierté de se dire que Michelin a enfin ouvert les yeux sur tout ça, et que je fais partie de la première salve d’étoiles vertes attribuées en 2020. Depuis, certains chefs font tout pour la décrocher et se mettent à penser « vert » rien que pour ça. Pour moi c’est l’inverse, ça récompense ta façon de travailler, tu la mérites ou non !

Quand vous vous êtes lancé, la cuisine d’excellence, c’était l’objectif en ligne de mire ?
Pas du tout ! Quand j’ai ouvert mon premier restaurant, je cherchais une seule chose : être libre ! Je venais certe d’un restaurant étoilé mais j’aimais la gastronomie sans chichis, les ambiances décontractées. Ça tombait bien parce que c’était le début de la bistronomie. À l’époque, j’avais un seul fournisseur pour tout : viande, oeuf, poisson, farine… Au fur et à mesure j’ai construit mon propre réseau. J’ai commencé à me fournir chez mon voisin boucher – qui après m’avoir formé, me vendait des carcasses entières – ensuite j’ai rencontré un héliciculteur (pour les escargots), un très bon maraîcher… 20 ans plus tard, Métro, j’y vais seulement pour les produits d’entretien, et encore… 98% de mon approvisionnement est local. Le seul point noir, c’est le sucre blanc. Non raffiné, il a un goût différent c’est c’est donc assez difficile de travailler avec en pâtisserie, et puis ça vient de loin. On essaye donc de le réduire au maximum, mais pour l’instant, on ne peut pas s’en passer complètement. 

Vous êtes papa de deux enfants. Avez-vous réussi à leur transmettre votre passion pour la cuisine?
Oui un peu. Quand il était petit, l’aîné cuisinait beaucoup. Maintenant, il préfère jouer au foot ou à la console plutôt que de faire sauter des légumes (rires). Son petit frère ne cuisine pas, mais qui c’est, peut-être que c’est lui qui tombera dedans plus tard !


Travailler en famille, à terme, ça vous fait rêver ?
Honnêtement, je rêve surtout d’une fin de carrière douce et d’une structure un peu plus tranquille dans les 5-10 ans. Une toute petite table d’hôte, quelques animaux, pouvoir aller chercher mes œufs tous les matins dans le jardin. Pain, pâtisserie, pâte feuilletée, découpage de viande… Je sais faire plein de choses en cuisine, je pourrais travailler tout seul – et en même temps je serais bien limité ! Former un petit jeune et travailler en duo, ça pourrait être bien.
Aujourd’hui, j’ai 25 salariés, le stress est maximal. Il y a le stress du chef d’entreprise, de la rentabilité et du management d’équipe. À tout moment, un salarié peut annoncer un départ, il faut alors le remplacer, former la personne, etc. Et bien sûr, le stress de l’étoile Michelin, parce qu’après l’avoir eue, il faut savoir la garder… 


Quelle est la plus grosse difficulté dans ce secteur quand on essaye de faire les choses bien ?
Le plus dur, bien sûr, c’est l’humain. Forcément, avec la structure à gérer je passe moins de temps en cuisine. Parfois, les assiettes ne sont pas exactement comme je les imaginais, et ça me tend (rires). Mais je ne peux pas être sur le dos de mes équipes toute la journée, il faut que j’accepte le fait de déléguer. Plein de grands chefs y arrivent, je les admire. Mon plus grand rêve, c’est de continuer d’exercer ce métier, et de ne prendre plus que du plaisir !

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Retrouvez Thomas Collomb à la Rôtisserie du Chambertin 
2 restaurants, un hôtel et un bar à vin