Avec l’artiste Yasmin Bawa, un éloge de la lenteur

Après des études de mode à Londres, suivies de quatre ans à Stockholm au sein du label suédois Acne Studios, Yasmin Bawa décide de rompre avec le rythme effréné des collections de prêt-à-porter pour trouver son propre tempo… Désormais installée dans un studio lumineux du sud-est de Berlin, la jeune femme a développé une technique de sculpture intuitive et expérimentale à partir d’un matériau innovant à base de chanvre. Résultat : des pièces organiques et sensibles, fruit de longues heures d’un travail instinctif.

Par Céline de Almeida - Photographies : Marina Denisova

Vous travaillez le chanvre, un matériau plutôt inhabituel dans l’univers de la sculpture… Comment est-il venu à vous ? Mes premières pièces étaient en béton et avaient des formes similaires à celles que je sculpte aujourd’hui, mais je n’aimais pas l’idée de travailler avec un matériau polluant et toxique… J’ai donc commencé à réfléchir à une alternative en accord avec mes convictions, et j’ai découvert le béton de chanvre en regardant des vidéos d’architecture. J’ai tout de suite su que j’avais trouvé ce que je cherchais ! J’ai googlisé un entrepreneur, pris ma voiture pour aller lui poser toutes sortes de questions et ramené dans mon studio le nécessaire pour créer mon propre mélange. Puis j’ai passé plusieurs mois à expérimenter et à apprivoiser ce matériau étonnant.

Quel est votre processus créatif ? Je n’ai pas d’idées préconçues, je préfère garder l’esprit ouvert. C’est plutôt le processus créatif qui me guide. Je construis la forme lentement, couche après couche. Je fais le tour de ma pièce, la retourne, la mets à l’envers, la contemple, et je la laisse prendre forme à son propre rythme… Entre chaque couche, je la ponce et la polis à la main. Je travaille toujours sur cinq ou six pièces à la fois car ce processus est assez long, environ huit semaines au total. Pendant ce temps, je peux réfléchir à ce que je veux faire à l’étape suivante. Je ne me mets aucune pression, j’aime prendre mon temps. Et puis, si je me trompe, je peux toujours ajouter une couche ou poncer la pièce et revenir en arrière !

Vous considérez-vous comme une artiste, une designer ou une artisane ? C’est une question que l’on me pose souvent. Pourtant, ce n’est pas vraiment quelque chose qui m’interroge. Je ne pense pas que ce soit important, ni que je doive absolument choisir entre les deux. Après tout, qu’est-ce que cela dit de moi et de mon travail ?

Comment décririez-vous votre style ? Avant tout, je crée les pièces dont j’ai envie de m’entourer. J’aime les créations polyvalentes et ludiques avec lesquelles je peux m’amuser, en les associant de manière spontanée. Je pense qu’il n’y a pas que le mobilier technique ou industriel qui puisse être utile. Une pièce minimaliste peut tout à fait être pratique. Par exemple, j’utilise en ce moment quatre pièces différentes que j’ai assemblées pour faire une table basse. L’empilement est également une combinaison très puissante. Lorsque l’on associe des pièces de cette manière, elles se transcendent pour devenir quelque chose de différent, à la fois familier et inattendu.

Où trouvez-vous votre inspiration ? Une grande partie de mon inspiration vient des livres de photographie. Nous avons la chance d’avoir une boutique incroyable au coin de la rue ! Je m’intéresse également de près aux savoir-faire ancestraux, notamment dans le domaine de la construction, et je participe régulièrement à des conférences à ce sujet.

Pensez-vous avoir une responsabilité écologique en tant que créatrice ? Aujourd’hui, je suis fière de produire localement avec un impact limité sur l’environnement. Évidemment, je n’ai pas la prétention de penser que ma démarche est parfaite, mais disons que je suis sur le bon chemin ! Cependant, j’ai bien conscience que j’ai aussi eu de la chance de trouver un matériau qui corresponde à la fois à mes besoins, à mon style et à mon éthique.

Comment intégrez-vous les couleurs dans vos créations ? Dans un premier temps, je me suis contentée des déclinaisons de couleurs subtiles et imprévisibles qui naissent naturellement de la combinaison entre l’argile et la chaux. Puis j’ai commencé à incorporer dans ma mixture des pigments naturels pour enduits muraux. Cependant, je continue à naviguer dans une palette de couleurs naturelles. Toutefois, j’utilise de très petites quantités, car j’essaye de ne pas gaspiller des ressources précieuses.

Comment aimeriez-vous voir votre travail évoluer ? Je viens de livrer trois pièces (un bar, une fontaine à eau et un poste de réception) pour un studio de yoga à Berlin. C’était très intense et j’ai dû déléguer une partie de l’aspect technique, mais j’adorerais collaborer à nouveau sur ce type de projet à plus grande échelle. En revanche, pour le moment, je vais faire une pause. J’ai envie de prendre du temps pour moi et pour mon travail personnel. Je viens de livrer un luminaire pour Amélie, Maison d’art, et j’ai envie de continuer à explorer cette voie, en poussant les formes un peu plus loin.

Est-ce vous accepteriez de collaborer avec un éditeur de design ? Je serais très hésitante… Le design industriel suggère un processus de standardisation, alors que l’essence même de mon travail est le fait main. Sans compter que ma matière première est difficile à reproduire et que je ne peux pas livrer mes secrets de fabrication.

Quels sont vos projets pour les prochains mois ? Je vais enfin prendre le temps de travailler sur mes propres pièces. D’ailleurs, je partage mon studio avec un photographe, nous allons donc en profiter pour les immortaliser… Ensuite, je vais travailler sur de nouvelles commandes, dont une seconde collaboration avec Amélie du Chalard.

yasminbawa.com

¨ Je fais le tour de ma pièce, la retourne, la mets à l’envers, la contemple, et je la laisse prendre forme à son propre rythme… ¨

Les belles adresses de Yasmin Bawa à Berlin

Salumeria Lamuri
Ce restaurant italien est mon endroit préféré en ville pour boire un café et, quand j’ai le temps, m’asseoir un moment et lire un livre.
Köpenicker Str. 183, 10997 Berlin
www.lasalumeria.wordpress.com

Chili Chutney
Ma cantine de quartier, tenue par un garçon adorable qui prépare des dumplings afghans faits maison.
Eisenbahnstr. 5, 10997 Berlin
@chili.chutney.berlin

Vögelchen Bar
Le spot idéal pour passer le temps et boire des verres après le travail.
Eisenbahnstr. 6, 10997 Berlin
www.voegelchen.com

Ryoko, Sense Salon
Cette boutique spécialisée dans l’art de vivre nippon propose une sélection d’objets artisanaux, de produits de beauté et de rituels traditionnels pour nourrir son corps et son esprit.
Friedelstrasse 11, 12047 Berlin
www.ryoko-online.com

Motto
Cette librairie, située tout près de mon studio, propose de nombreux titres alternatifs, des magazines, des publications d’artistes et d’excellents livres de photographie.
Skalitzer Str. 68, 10997 Berlin
www.mottodistribution.com

Hopscotch Reading Room
Cette bibliothèque atypique est spécialisée dans les ouvrages en langue anglaise traitant de sujets non orthodoxes et ouvrant une réflexion sur des perspectives non occidentales.
Kurfürstentr. 13-14, 10785 Berlin
hopscotch.page